Vous aimez l’été, j’en suis sûr. Qui peut être contre? Il y a bien les moustiques, la tondeuse du voisin qui rugit parfois tôt le matin, quelques heures de mauvais sommeil pendant les canicules, mais la saison vaut bien ces petits désagréments, non? C’est comme si on ne vivait vraiment que l’été et que le reste de l’année est occupé à une lutte contre le froid, la neige, le noir en fin d’après-midi. C’est la tuque, le gros manteau, la bordée de neige imprévue, la « charrue » qui est passée, l’auto à déblayer, les -30 qui nous gèlent l’air des poumons… Faut être maso un peu pour adorer ça. Il y a bien les adeptes du ski de fond, les amants de la nature, les motoneigistes qui nous vanteront la beauté des paysages hivernaux, la pureté de l’air, le silence intense des matinées glaciales. Nous resterons sceptiques.

C’est notre rapport à l’hiver qui, finalement, pose problème, même si depuis toujours, il a façonné notre histoire et notre identité. Jacques Cartier est débarqué à Gaspé pour planter sa croix. On aurait aimé qu’il découvre plutôt la Floride. Et c’est l’hiver qui a bien failli faire dérailler tout son projet. Sans les Amérindiens et leurs remèdes, il n’y aurait pas eu de Nouvelle-France, ni de Québec. Puis, sa Majesté, vers 1760, aura préféré quelques îles des Antilles à la moitié de l’Amérique du Nord. Peut-on honnêtement lui en vouloir?

Chanter l’hiver


Cette saison froide, c’est aussi quelques-unes des nos plus belles œuvres. Il y a Gilles Vigneault qui a chanté que notre pays, c’est l’hiver. Jean-Paul Lemieux et ses toiles si froides. Mon oncle Antoine, le chef-d’œuvre de Claude Jutra, Maria Chapdeleine, de Louis Hémon, nous plongent au cœur de cet hiver. Nelligan et son Soir d’hiver. Melançon et sa Guerre des Tuques. Il y a le hockey, les Canadiens. La liste pourrait être encore longue, mais c’est pour vous montrer que l’hiver est une composante incontournable de notre culture. Et nous cherchons, le plus possible, à l’éviter : démarreurs à distance, le petit voisin qui pellete pour 10 $, les voyages dans le Sud, même pour Noël!

Bernard Arcand, un anthropologue qui savait expliquer avec intelligence, couleur et passion les choses les plus simples et anodines de notre société a écrit, il y a peut-être dix ans, un petit livre bien intéressant : Abolissons l’hiver! Sa thèse est simple, mais assez osée, voire même hérétique pour les plus enragés contre l’hiver. En effet, nous nous entêtons à mener une vie de fous en hiver, alors que la neige, la glace, le froid, les tempêtes sont contre nous.

Pour retrouver le bon sens, il suffirait donc d’inverser la situation. Travaillons davantage l’été, alors que tout est plus facile, les levers, les déplacements, et ainsi nous aurons tout l’hiver pour nous reposer, pour rester sous les couvertures, pour enfin lire ces livres qui s’accumulent, pour regarder les films qui nous attendent ou pour essayer ces recettes du Coup de Pouce qu’on remet à plus tard. Nous en remercierons le ciel et Jacques Cartier aussi!

Je vous entends crier au meurtre, là? Laissons les dernières lignes justement à Arcand le renégat, le traître : « Il est assez inquiétant de songer au sort d’un peuple qui chante : « Mon pays, c’est l’hiver » et qui, du même souffle, ajoute que cet hiver est détestable ». »


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.