L’Abitibi a vu son histoire projetée plus d’une fois au cinéma. Dans cette série d’articles, on va dépoussiérer la mémoire collective, remonter à rebours le cours des jours jusqu’au partage des mots, brasser le fond et se remettre dans la forme des vues sur le nord.

 

Si l’histoire de la région a d’abord été filmée par des documentaristes du clergé dont l’intention était de jouer avec la réalité et de propager une image idyllique de ce nouveau lieu de colonisation, rares sont les cinéastes qui ont voulu réinventer le passé de notre région. Qu’on pense à Gilles Carle, Pierre Perrault ou Bernard Émond, quand est venu le temps de parler des premiers temps de l’Abitibi, ils s’en sont tenus aux faits.

Vaut mieux tard que jamais, c’est ce qu’on pouvait se dire en voyant arriver au cinéma, puis sur les tablettes, le film Je me souviens (2009), puisque l’univers dans lequel nous plonge cette œuvre se situe entre la réalité et l’imaginaire du très éclaté André Forcier. pour créer son dernier long métrage, le réalisateur s’est joué de notre mémoire afin de nous amener dans un état de confusion musante.

La réalité embrasse la fiction dès l’établissement du lieu dans lequel on se trouve, Sullidor, un village appartenant à la compagnie Sullidor Mining. On comprend que ce nom est le mélange de Sullivan, village qui jadis appartenait à la compagnie minière responsable de son développement, et de Val-d’Or, principal lieu de tournage du film. Puis, nous est relatée la relation entre Maurice Duplessis et un homme d’Église inventé, monseigneur Eugène Mador. Ce dernier se trouve à être son confesseur, un religieux auprès de qui le premier ministre prenait conseil et de qui celui-ci se servait pour mieux contrôler et éduquer le petit peuple. Ce genre de liens intimes entre les hommes politiques et religieux existait certes, mais Duplessis n’avait pas de confesseur en Abitibi.

Le film entier est donc bâti de demi-vérités avec lesquelles on se fait un portrait à moitié faux de ce qu’était la société abitibienne pendant la grande noirceur. Les orphelins envoyés au travail forcé dans les mines, la présence et l’influence du Parti ouvrier-progressiste dans la région à l’époque, la loterie irlandaise en circulation partout en Abitibi, tant de fausses pistes qui suscitent des réflexions pertinentes sur ce qu’a été ce bout de province.

L’intention de jouer avec la réalité de la sorte relève normalement de la caricature, mais dans le travail de Forcier, il semble s’agir d’une volonté de dépasser les limites du réel comme pour sortir du carcan imposé par l’Histoire. Il faut toujours se rappeler que les faits historiques sont écrits par la main de l’homme, une créature dotée d’imagination. André Forcier nous permet donc de prendre notre revanche sur la vérité institutionnalisée en assistant à ce qu’aurait pu être l’histoire de l’Abitibi- Témiscamingue si elle avait été écrite par un auteur de romans fantastiques.

Si la prémisse de Je me souviens est des plus intéressantes, il reste que le résultat final ne réussit pas à nous convaincre de son efficacité. Un récit dont on a du mal à définir le personnage principal arrive difficilement à nous faire comprendre à quelle quête on doit s’intéresser. Également, une distribution all-star (Roy Dupuis, Céline Bonnier, Rémy Girard, etc.) nous amène à espérer
autre chose que des performances d’acteurs inégales qui s’entrechoquent. L’expérience vaut néanmoins le détour pour mieux connaître cet important cinéaste québécois qu’est André Forcier.


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