Démystifions cet organe étrange : l’ego de l’artiste. La chanson de Luc Plamondon, Le blues du businessman, brillamment interprétée par Claude Dubois, nous offre la fine fleur du cliché qui circule à ce propos. 

Notre businessman déçu aurait voulu être un artiste pour :

1- s’exprimer (dire au monde qui il est), etc.; 

2- être libre et riche (anarchiste et millionnaire);

3- être applaudi; 

4- inventer sa vie.

Je vais essayer de cerner son problème et d’y répondre.

Comme beaucoup de monde, il croit que les artistes détiennent un privilège. En réalité, la prétendue permission qu’ils auraient d’exprimer leur être leur est accordée si, et seulement si, ils se dépassent dans des valeurs ou potentialités inédites dans la société. Aussi, l’originalité de l’artiste ne réside pas dans un ego vaniteux comme celui du businessman qui aurait aimé « se trouver beau sur un grand écran en couleur », mais dans une sensibilité à ce qui est en train d’advenir. 

L’originalité des artistes n’a rien à voir avec l’excentricité des riches qui s’achètent une Cadillac rose ou une promenade spatiale. Elle provient d’une recherche hors des sentiers battus qui entraîne souvent pauvreté, rejet et solitude, car même s’ils s’investissent à 100 % dans le développement d’une esthétique personnelle, rien ne garantit la gloire en retour, ni qu’ils pourront en vivre… Anarchiste ne rime pas avec millionnaire, excepté dans un rêve. 

Quand l’artiste obtient de l’attention médiatique, c’est plus comme curiosité divertissante que pour son travail. Pour ce qui est d’inventer sa vie, comme il la consacre à un projet qui le dépasse, c’est plutôt à lui de suivre la musique. C’est le métier le plus intéressant du monde, puisqu’il participe à fabriquer le monde, c’est-à-dire les façons de penser et de sentir qui seront en partie celles des autres plus tard; en contrepartie, son ego reçoit souvent des coups de pied au cul. Finalement, Plamondon a illustré non pas l’artiste, mais le mythe qui circule à son propos.

Mais même si notre businessman avait compris ce qu’est un artiste, sa nature profonde l’aurait empêché d’en devenir un. L’insécurité qui l’a mené à la valeur la plus répandue au monde (l’argent) restera pour toujours sa prison dorée. Il a développé ses talents en fonction de performer dans l’invention de ce qu’un client est prêt ou sur le point d’être prêt à acheter, pas dans cent ans, pas dans vingt ans, tout de suite. Il est le maître de ce qui existe déjà : le marché. L’insécurité de s’investir dans une matière qui n’existe pas encore et n’existera peut-être jamais lui serait insupportable. C’est ça la patente. 

Businessman, si tu m’entends, cesse de geindre, car je vais maintenant te prescrire un remède qui pourrait t’aider à supporter le fait que tu n’es qu’un agent économique remplaçable : achète des œuvres d’art ou soutiens un artiste. Les mécènes qui ont acheté des impressionnistes, du Picasso ou du Riopelle, à un prix normal, se sont illustrés par leur clairvoyance… tout en centuplant leur mise… Businessman, m’entends-tu ?


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