Qu’on se le tienne pour dit, ils ne l’ont pas eue facile, ceux que l’on a débarqués en pleine jungle de conifères. Loin de moi l’idée de vous rabattre les oreilles et de vous faire la morale, vous qui vivez avec le confort de l’eau courante, mais à observer la cinématographie de notre région, je me fais moi-même rappeler constamment cette époque pénible où la cassonade était un luxe.

Condensé des huit épisodes d’une série télé, le long métrage Les Brûlés (1959) raconte donc le lot commun des nouveaux bûcherons qui prirent le train vers l’Abitibi et le Témiscamingue pendant la crise économique. Le récit est inspiré directement d’un roman de Hervé Biron, Nuage sur les brûlés : la colonisation au Témiscamingue, quoique le film décrive le travail de la Société de colonisation de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, dont faisait partie le curé-cinéaste Maurice Proulx.

Dans le train qui les amène apparemment vers nulle part, le désespoir chez les expatriés est palpable. « Eh! Bateau! » lance un de ceux qui se prennent à regarder défiler des cimes et des cimes. Le curé s’enthousiasme, comme s’il était le seul doté d’une vision d’avenir. Dans son coin chante Félix Leclerc, que l’on a implanté dans le film comme une valeur ajoutée. En foulant le sol austère de ce qui deviendra la Paroisse Saint-Antoine (lieu non situé dans le film, à savoir si on est au Témiscamingue où en Abitibi-Ouest), la troupe se perçoit avec raison comme victime d’une cruelle imposture : « Ça prend-tu des écœurants pour nous envoyer icitte ! »

Le film ayant été produit par l’ONF avant la révolution tranquille, il ne faut pas s’étonner que le représentant du clergé soit le grand héros de cette aventure. « Il a gagné ses épaulettes! Maluron, malurette! » lui chantent les colons. Bien qu’il faille admettre que les curés qui participèrent aux premières vagues de la colonisation ont travaillé dur eux aussi, il faut dire qu’ils bénéficiaient d’une qualité de vie bien meilleure que celle qui était offerte aux colons. L’agronome, figure d’autorité gouvernementale, a lui aussi la faveur des producteurs. Sa représentation est à l’opposé de l’archétype du fonctionnaire mou et nuisible. Il se montre plutôt d’une utilité hors pair; ses connaissances de l’expérience de la colonisation l’amènent à être respecté par les hommes. Il est tellement brave et dévoué qu’il met sa vie en jeu pour ses pairs… et perd sa gageure.

Pour ceux qui en savent moindrement sur le mode de vie rural du début des paroisses, vous n’y verrez rien de nouveau. Au final, Les Brûlés apparaît comme étant une énumération des déboires qui pouvaient accabler les premiers blancs, affublée d’une trame narrative mal adaptée au format du long métrage. Pour ceux qui s’intéressent au début du cinéma de fiction au Québec, vous y verrez le genre de méga production qui devint complètement désuète pendant les années 1960, grâce au talent de Gilles Groulx et de Gilles Carle entre autres, qui ont ouvert notre cinéma à la spontanéité et aux productions privilégiant la honnêteté au faste.

Les Brûlés est disponible en visionnement gratuit sur onf.ca. \


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