Il s’agit d’un premier long métrage pour le réalisateur Yan Lanouette Turgeon, qui avait déjà fait dans le court. Démontrant une maîtrise surprenante, le jeune cinéaste nous livre avec Roche Papier Ciseaux une véritable oeuvre du 7e art.

Le film raconte la quête de trois hommes piégés comme des rats dans un labyrinthe dont ils cherchent désespérément la sortie. Leurs destins se croisent au coeur d’un véritable western pâté chinois, pour sa saveur québécoise, mais aussi pour sa recette à trois ingrédients. Il y a d’abord Boucane, un jeune autochtone qui déserte sa réserve d’épinettes et de cabanes déglinguées située dans le nord de tous les impossibles, persuadé que Montréal est la solution. Pris en charge par Normand (Roger Léger), homme de main pour la pègre chinoise, il se retrouve mêlé à quelques affaires louches. Il est «Roche», à cause d’un pendentif serti d’un caillou censé porter bonheur. Le personnage de Boucane, défendu par le rappeur algonquin Samian, originaire de Pikogan près d’Amos, est criant de vérité. Le rôle lui semble taillé sur mesure. Il réussit parfaitement à faire passer dans son jeu instinctif une gamme d’émotions. On oublie que l’aventure est nouvelle tant elle est prometteuse pour le chanteur.

Ensuite, il y a «Papier», un vieil Italien, interprété par l’émouvant acteur de théâtre Remo Girone. Le papier, c’est l’argent qui lui manque pour ramener sa femme mourante dans leur Italie natale. Le pauvre s’use à faire les poubelles pour récupérer ce qui est revendable, mais le temps presse. Un caïd chinois l’entraîne dans un jeu périlleux, faisant miroiter des gains rapides.

C’est dans ce milieu interlope que s’est embourbé Vincent, médecin radié tenu en laisse par les triades chinoises montréalaises, pour cause de lourdes dettes de jeu. Personnifiant «Ciseaux», l’intense Roy Dupuis transpire de fatalité et du désespoir d’un futur papa qui a maintenant toutes les raisons de vouloir s’affranchir.    

Ici, le Nord du Québec rime avec la dévastation des coupes à blanc et les champs de pylônes électriques longeant des routes isolées. On cherche en vain à reconnaître un coin d’Abitibi ou un bout de la 117, le long du trajet emprunté par Boucane vers Montréal.

La musique s’inspire du genre western, comme la façon de filmer les paysages avec recul et les personnages avec insistance. La caméra semble en amour avec les acteurs, les frôlant de près. On a parfois droit à des tableaux d’une grande poésie. La principale faiblesse du film repose dans les quelques dialogues qui semblent peu naturels, et servent surtout d’explications pour éclaircir la situation. Leur ironie fait sourire, mais aussi décrocher.

Il faut souligner la performance de Marie-Hélène Thibault en désinvolte prostituée et de Fanny Mallette, qui interprète la douce blonde de Vincent, de même que celle de Roger Léger très convainquant en dur à cuire. L’intrigue abracadabrante est bien ficelée, l’excellente distribution audacieuse et on passe un très bon moment de cinéma. Un réalisateur à suivre! \   3,5 / 5


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