Michel, personnage principal de La chasse au Godard d’Abbittibbi, appuie sur chacun des mots : « On est des osties de colons! ». Il vient de raconter l’histoire d’un éleveur de cerfs qui « tire » une à une ses bêtes après s’être frappé au refus des épiceries, des restaurants et de la population d’acheter sa viande. Cette histoire pourrait presque se passer aujourd’hui…

On appelle colon une personne établie dans une colonie mais c’est aussi, dans la langue québécoise, une personne « épaisse », ignorante.  Le mot colonie, de son côté, peut être résumé à un territoire placé sous la dépendance politique et économique d’une nation étrangère. Nous sommes, depuis le début de la colonisation blanche, coincés sous une dépendance politique et économique.

Une étrange dépendance parce qu’elle n’est plus étrangère : elle a lentement envahi les esprits. Dépendance aux marchés à qui l’on procure du bois et à qui on fournit des métaux. Ces mêmes marchés qui monopolisent l’offre de nourriture même si nos terres peuvent pratiquement nous nourrir. Colonisés dans nos têtes par le désir de posséder « quand la chance passe », comme présentement, alors que nous n’avons toujours pas prise sur notre destinée de région ressource… Et c’est ainsi qu’on entend dire : « Qu’est-ce que tu veux faire d’autre ? Ça a toujours été de même et ça sera toujours de même…» :  paroles de colon.

Alors qu’est-ce qui a changé depuis le passage de Godard en 1968?

Dans le film d’Éric Morin, Michel veut la révolution, rendue « possible » par le fait de montrer au peuple ce qu’il est à la télévision, alors que Marie, sa compagne, désire fuir et voir se qui se passe ailleurs. Ce sont des choix qui peuvent être vécus par des jeunes de notre région en 2013. Mais ils reviennent de plus en plus faire leur vie ici et beaucoup vont franchement vous dire : « On ne veut plus être des colons ! On veut vivre ici pour la suite du monde… »

Il ne s’agit pas d’une fantaisie de chroniqueur révolté mais d’une réalité. Le journal que vous lisez présentement en est l’illustration vivante. Les spectacles, expositions, films, festivals et projets artistiques dont il vous entretient mois après mois sont la preuve que nous nous inventons.  On dit que c’est après la troisième ou la quatrième génération qu’une population commence réellement à prendre pied sur un territoire. Quarante-cinq ans après Michel et Marie, nous voici rendus, ici et maintenant, à chanter nos chansons, publier nos livres, jouer notre théâtre, projeter nos films à ces deux personnages inventés devenus des grands-parents fiers de leur suite du monde. Tout ça en étant de plus en plus conscients de ce que nous avons fait vivre aux Anishnabe et de ce qu’il nous faudra faire ensemble pour panser de profondes blessures.

Se décoloniser c’est cesser de se balancer entre le présent et le passé pour vivre au présent tournés vers l’avenir. Notre art c’est de nous créer.

Joyeuses fêtes et bonne année !!!


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