C’est avec légèreté qu’on parle le mieux des choses (je dis bien des «choses») les plus graves. Pascale Charlebois le sait bien. Sa dernière création théâtrale, présentée au restaurant Le Saint-Exupéry ces deux premières semaines de septembre, évoque avec dérision et philosophie les relations homme-femme. L’amour, la déception, la jalousie, la tromperie, l’espérance, la solitude s’y cognent allègrement, ce qui en fait une pièce profondément humaine. Durant un peu moins d’une heure, Étienne Jacques et Pascale Charlebois se donnent en effet la réplique en s’incarnant dans des objets pour le moins hétéroclites. Il s’agit du théâtre d’objets, cher à Pascale Charlebois depuis au moins Chanson de toile, d’Hélène Bacquet, qu’elle a mise en scène en 2008.

Dès le début de la représentation, les deux complices principaux catapultent le spectateur dans un univers illusoire où les tasses en peine d’amour, les salières en amoureuses larguées et cocues, les figurines en coureurs invétérés, les théières un brin canailles, bref, tous les objets possèdent une âme. Ou mieux, chaque objet devient un état d’âme, avec une réalité, sa propre réalité. Chaque objet s’approprie un langage, une expression, pour défaire l’incommunicabilité ontologique entre l’homme et la femme. Le titre de la pièce, Je t’espère, implique deux interlocuteurs. Pourtant, elle met en scène un homme et une femme attendant chacun quelqu’un d’autre. Quelque part. Dans un bar ou un restaurant. Dès lors, une alternative s’offre à ces deux solitudes : faire connaissance, se parler, communiquer ou attendre. Ils choisissent la première option. Ils se repoussent, s’attirent, se racontent, à travers de nombreux personnages.

Des répliques incisives, dégainées avec la tendresse d’un boxeur, ponctuent le rythme de la pièce, tandis que les deux comédiens jonglent avec le réel et un monde imaginaire dans une mise en scène dépouillée de nitescence et de prétention. Ce jeu se signale par de petites pauses commentatives qui indiquent une mise en cause de l’illusion dramatique. Il rappelle également au spectateur le pacte tacite qu’il a signé avec les comédiens dès le début : il a admis l’illusion, condition nécessaire à la possibilité de tout art. Mais cet exercice amuse le spectateur, surpris par le jeu des comédiens qui l’escortent, en nochers habiles et inspirés, d’un univers à un autre, sans désagrément. Et, bien évidemment, ça finit bien. Car, la fin de la pièce n’est que le début d’une nouvelle aventure.           

Outre la simplicité de l’histoire, l’efficacité des comédiens et la sobriété de la mise en scène, le choix du restaurant Le Saint-Exupéry relève d’une audace certaine. Aménagée pour l’occasion, la salle du restaurant permet une grande proximité avec le public, composé d’une quarantaine de personnes tout au plus. Assis en rangs (trop) serrés, avec les tables empilées à côté, les spectateurs ressemblent plus à un groupe de potes et de proches parents rassemblés dans un sous-sol pour soutenir l’artiste de la bande qui veut se lancer. On peut toutefois regretter que deux ou trois longues tirades de la comédienne viennent casser le rythme de la pièce. En effet, ces extraits de Musset (que je n’ai pas reconnu sur le coup) greffés sur le texte créent un effet inégal et une rupture rythmique dans l’action par leur solennité romantique et sophistiquée, et affectent un peu la légèreté badine de la pièce. Mais, qu’à cela ne tienne! On passe un délicieux moment comme du bon pain en se laissant transporter dans l’univers de Pascale Charlebois et d’Étienne Jacques.

   

Les quatre dernières dates sont du 10 au 13 septembre. Dépêchez-vous, car les places sont très limitées.


Auteur/trice