En octobre 2014, Marta Saenz de la Calzada présentait Moi, ma mère me racontait, son livre de contes d’immigrants illustré par Karine Hébert. Le 20 février 2015, le Centre d’Exposition de Rouyn-Noranda présentera le vernissage d’une exposition qui retracera cette expérience de création et de collaboration. Toutes les illustrations que Karine Hébert avait réalisées ainsi que le travail préparatoire et les esquisses seront présentés au public. Cette exposition s’étendra jusqu’à la fin du mois de mars 2015. À cette occasion, Fednel Alexandre a rencontré les deux artistes pour l’Indice Bohémien.

Indice Bohémien : Parlez-moi de la naissance du projet.

Marta Saenz de la Calzada: Lors du Festival international du cinéma en 2011, je crois, Denis Cloutier m’a demandé si j’avais des contes sur l’Abitibi, pour un recueil qu’il était en train d’écrire. Ce à quoi j’ai répondu «Oui». Et à ce moment, en regardant du haut de l’escalier le public, composé entre autres de gens venus d’ailleurs, j’ai eu l’idée d’un recueil d’histoires recueillies auprès d’immigrants de la région. Je me suis rappelé que Karine avait déjà fait une chronique sur le Noël des immigrants. J’ai remarqué sa curiosité et son ouverture à l’autre, et on a fait un projet ensemble.

Karine Hébert: Oui, on a commencé avec un projet collectif. Après, les choses se sont organisées autrement, j’avais de nouveaux projets, et donc, je me suis contentée de faire les illustrations.

  1. . Comment avez-vous travaillé ?

MSC : La Mosaïque m’a beaucoup aidée, elle m’a procuré beaucoup d’adresses. J’interrogeais ces gens –là, et une fois l’histoire écrite et l’accord des gens donné pour la publication, j’envoyais l’histoire à Karine.

KH : Je travaillais avec les mots de Marta. J’ai fait aussi quelques recherches pour m’imprégner des ambiances. Je proposais des esquisses à Marta, mais j’ai vraiment travaillé à partir des mots de Marta.

IB. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté sur le plan de l’interculturel, vous qui avez rencontré des gens d’origines différentes ?

MSC: Moi, je me suis aperçue que d’abord le titre n’était pas correct. Des fois c’était « moi, ma tante me racontait » , « moi, mon père… » , « moi, ma grand-mère ». Mais dans tous les cas, j’ai retrouvé un amour pour la famille, les parents, qui apparaissent comme une constante. Que le conte vienne du Vietnam, de l’Inde, du Cameroun, la famille est là, les parents sont là, ils transmettent des valeurs. L’école est là aussi, et la bouffe, les repas familiaux. On est différents, mais il y a tant de choses qui nous rejoignent et nous unissent.

: Moi, j’ai découvert des gens d’ailleurs dont j’ignorais la présence, et ces gens-là arrivent avec leur mémoire, et je trouvais dommage que les gens d’ici ne soient pas au courant de toute cette richesse qui est livrée avec ces contes.

IB. Justement, pourquoi avoir choisi des contes pour ce projet ? Le conte étant un genre de tradition orale, il y a une double fixation : l’écriture et l’illustration.

MSC : C’est vrai qu’après on est encarcanné par l’écrit, quand on veut conter oralement. Je voudrais maintenant en faire un spectacle et il va me falloir retrouver l’oralité.

Mais je t’ai raconté comment a surgi le projet, je suis restée avec cette idée en tête. Et puis, c’est plus facile qu’un roman. Je viens de la scène, pas de l’écrit.  Et puis, un livre ça reste. C’est comme un hommage à ces gens qui sont venus d’ailleurs et qui ont aidé à bâtir cette région.

KH : L’écriture et les illustrations gardent la trace, alors que l’oral disparaît.

IB. J’ai une question pour toi, Karine. Peut-on considérer l’illustration comme une clé pour accéder aux univers que Marta a fixés sur papier ?

  1. Je pense que non, c’est l’inverse. J’ai vraiment travaillé à partir du texte, les mots qui m’interpellaient, les ambiances qui me frappaient. Quand je lis, c’est les images que je vois dans ma tête, il y a des illustrations qui apparaissaient dans ma tête, je savais ce que j’allais en faire. Par contre, d’autres ont demandé plus de travail. Je les proposais à Marta, on changeait des choses, je découpais des personnages. Je me bats avec la matière, je grafigne, je rajoute, c’est aussi un travail avec la matière. Mais ce n’est pas une clé pour accéder à l’univers de Marta.

IB : Marta, selon toi, qu’y a-t-il à découvrir dans le conte ? Il y a de plus en plus de conteurs, qu’apportent-ils ?

MSC : Je pense que c’est l’émerveillement. Lorsqu’on conte, il n’y a pas de décor. Et avec la parole, on est capable d’aller chercher cette capacité d’émerveillement qui sommeille en nous. Le conte est capable de transporter les gens ailleurs.

IB : Peux-tu nous parler de la réception du livre ?

MSC : Quand j’ai conté dans les écoles, il y avait un conte qui revenait immanquablement comme le favori de tous, c’était « L’homme de la maison », un conte qui se passe à Rouyn-Noranda dans les années 1929. Je pense qu’il touche davantage les jeunes parce qu’il parle de nous, de nos racines. Ça leur fait réaliser tout le chemin qui a été fait depuis 1929 jusqu’à maintenant, et ça les émeut profondément. Pour des élèves qui viennent d’ailleurs, ils sont contents de voir qu’on parle d’eux et d’autres pays.

IB : Tu as parlé de La Mosaïque tout à l’heure. Quel était l’intérêt pour La Mosaïque de participer à ce projet ?

MSC : Une des missions de La Mosaïque est de bâtir un pont entre les différentes communautés. Ce projet avait un potentiel qui permettait de rejoindre les gens d’ailleurs et de mettre en lumière ce qui nous unit au delà de nos différences.

IB : Est-ce qu’il y a une suite à ce livre, un spectacle, par exemple ?

MSC : Il y a l’exposition, qui va être très intéressante, parce que c’est comme un « making of ». Il y aura mon matériel, mes brouillons, toutes les illustrations et les esquisses de Karine, celles qu’on a prises et celles qu’on n’a pas retenues. On verra tout le travail qui est derrière l’édition du livre, jusqu’au produit final. Il va y avoir des CPE qui viendront et je vais faire un conte en particulier, et les enfants vont dessiner, illustrer le conte. Je pense aussi présenter le livre au Salon du livre de Québec ainsi qu’à celui de l’Abitibi-Témiscamingue.

IB : Donc, cette exposition permettra de voir tout le cheminement qui a conduit aux illustrations du livre.

KH : Oui. Je suis un peu compulsive et je produis plus que ce que Marta me demandait, donc il va y avoir beaucoup plus d’images. Ça permet de voir les « à côté » , mes libertés, ma manière de travailler.

IB : Pouvez-vous rappeler les dates ?

MSC : L’exposition commence à partir du 13 février, mais le vernissage se fera en même temps que les expositions d’Andréanne Boulanger et de Carole-Yvonne Richard, soit le 20 février. Elle durera tout le mois de mars.

 


Auteur/trice