Décrocher cet été.

Décrocher parce que le gouvernement conservateur ignore la population témiscabitibienne, des citoyens de seconde zone qui n’ont pas voté du bon bord. Exit, la demande du GIRAT pour des investissements en infrastructures de télécommunication en région. En prime, une attitude cavalière de la part du gouvernement fédéral qui n’est pas sans rappeler l’épisode du programme de Capitale culturelle du Canada en 2012… « Votre demande était bien ficelée et répondait à nos exigences, mais elle est rejetée et on ne vous dira pas pourquoi. » Zéro financement, zéro transparence. Better luck next time, nous répondra-t-il, dans sa langue officielle. Et tant pis pour ceux qui habitent dans des communautés rurales et qui ont Internet à pédales. Et ceux qui ont un accident de voiture la nuit dans une zone isolée sans signal cellulaire ? Too bad.

Décrocher parce que TransCanada et son projet d’oléoduc, qui traversera plus de 700 kilomètres au Québec et 2000 terrains privés, refuse de fournir de la documentation en français aux intéressés, tout ça sous le regard bienveillant des gouvernements en place.

Abandonner parce que pendant que la région travaille d’arrache-pied à rétablir des ponts entre Allochtones et Autochtones, Ottawa refuse de reconnaître le génocide culturel découlant des pensionnats autochtones et demeure inactif sur le sort des 1186 femmes autochtones tuées ou disparues depuis 30 ans.

Fuir à cause de la Loi C-51, qui en raison d’une obsession paranoïaque de la sécurité, nous précipite directement dans un monde orwellien, où les libertés civiles sont érodées et où le concept de vie privée n’est déjà plus qu’un lointain souvenir.

Décrocher devant nos députés libéraux régionaux qui se disent fiers de leur premier bilan annuel, une année marquée par l’austérité et le massacre de nos institutions de développement et de concertation : CRÉ, CLD Forums jeunesse, en plus de passer la chainsaw en éducation et de couper 2,5 millions au budget du Conseil des Arts et des Lettres du Québec. Tout ça « au nom de l’équité intergénérationnelle ». On aurait pu penser qu’ils se seraient gardé une petite gêne, mais non. Ils sont fiers. Le bonheur, c’est pour plus tard. Le bonheur, c’est dans le Plan Nord. Des promesses conjuguées au futur proche, pendant qu’on saborde la Loi sur les mines en amputant les obligations de transparence des minières. Pendant qu’on vend nos forêts à rabais aux américains, et qu’on leur rachète ensuite sous forme de meubles cheaps chez Walmart. Des redevances? Ça nuirait à l’investissement, voyons donc!

Céder parce que nous vivons dans une dynamique politique où les grands projets de société relèvent désormais de la science-fiction, devant l’absence totale de vision à long terme de nos gouvernements. Car c’est le court terme qui domine le système politique actuel : l’important, c’est de gagner les prochaines élections. Ode aux baisses d’impôts… Le long terme, c’est pour les pelleteux de nuage, comme ceux qui lisent (et écrivent!) ce journal, on le sait bien.

Capituler à cause du clivage exacerbé droite/gauche, Inclusifs/Janettes, Québec/Montréal, fumeurs/non-fumeurs, pro-Nutella/anti-Nutella… Une polarisation à l’extrême amplifiée par les médias sociaux et les chaînes d’information en continu qui rend toute forme de dialogue social actuellement impossible. Les zones grises, les nuances? Trop long, trop compliqué. De toute façon, toutes les opinions se valent, n’est-ce pas? (Indice : Non.)

Décrocher quelques mois avant des élections fédérales où l’on a un peu l’impression qu’on va se tirer dans le pied peu importe pour qui on va voter.

Décrocher à cause des maudites chenilles.

Mettre notre cerveau à off parce qu’on mérite un petit break cet été. Pour faire taire, l’espace d’un moment, ce sentiment d’impuissance qui nous ronge, malgré notre concertation, nos actions, nos voix à l’unisson.

Décrocher pour se réapproprier notre région cet été, dont l’offre touristique et culturelle n’a rien à envier aux grands centres grâce à ses artisans : se balader dans la Forêt enchantée et admirer les œuvres qui y sont exposées, jouer sur un piano public en plein centre-ville de Rouyn pour faire sourire les clients de la crèmerie d’à côté. Se payer un roadtrip sur le circuit patrimonial du Témiscamingue, faire de l’escalade à Ville-Marie, déambuler à Val-d’Or à pied et observer des sculptures et des photos gigantesques, voir des shows sous les étoiles à La Sarre. Aller dans les pow-wow, voir des pièces de théâtre d’été, triper à la FÉE à Amos, aux festivals country, western, classique, H20, FRIMAT, Osisko en lumière, à Vassan, à Nédelec, à Belleterre, partout.

Fermer l’ordinateur, la télévision, le iPhone, bloquer la pollution visuelle, sonore, et mentale. Jaser entre amis autour d’un feu de camp sur le bord du lac, baignés par la Voie lactée, les lucioles et les aurores boréales. Réinventer le monde, notre monde, une bière à la fois, entre deux cris de huards. Rentrer se coucher alors que le soleil se lève après avoir philosophé sur la vie, la mort, notre place dans l’univers, et d’autres débats métaphysiques. Se sentir bien petit, mais se sentir vivant!

Décrocher cet été, question de mettre notre cynisme de côté juste un peu, et pour s’assurer de demeurer sain d’esprit. Faire le vide, mais aussi faire le plein… avant que l’action ne reprenne en septembre. Watch out.


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