Le lac Osisko héberge des canards qui, l’hiver venu, migrent vers le sud. Pour survivre. Ils se déplacent en hordes, faisant preuve d’une solidarité tout animale. Heureusement. Car, à leur façon, ils montrent qu’ils ne sont pas aussi bêtes qu’on le pense. Je ne peux pas en dire autant de l’homme quand je vois ce petit corps que l’Océan, incapable de digérer, a vomi tout habillé sur le rivage. Comme s’il voulait lui restituer un peu d’humanité. Mais comme s’il voulait cacher au monde civilisé cette ignominie et son inhumanité.

La migration des canards du lac Osisko me ramène à une réflexion simple : on est peut-être tous des immigrants. N’est-ce pas une forme de migration le fait de quitter le ventre de sa mère, sans bagages, pour partir vers l’inconnu? Sait-on où l’on ira après qu’on aura tiré sa révérence? On ne sait jamais où l’on va atterrir. Quelle égocentrique vanité que de s’approprier l’espace et d’en tenir ses semblables éloignés alors qu’ils sont en train de crever comme des rats! 

Étant tous immigrants, ce qui nous distingue, c’est notre façon d’habiter le monde. Certains, comme Hölderlin, le font poétiquement. D’autres, comme certains écrivains exilés de leur pays d’origine, préfèrent habiter une langue (des écrivains chialeurs). Comment habiter un monde aussi vaste, dont les frontières sont ouvertes, favorisant le tourisme de masse, grâce aux vols low cost, et une formidable interconnexion, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication? On se déplace. On visite des lieux. On les squatte. On les photographie. On les quitte… Tout cela repousse l’idée d’habitation. Peut-être que c’est le monde qui nous habite? Bon, il ne faut pas dire aux gens qu’on les prend pour des imbéciles même si on le pense, comme dirait Coluche. Ce monde ouvert n’est en réalité ouvert qu’à certains. Un jour, il le sera peut-être à ces masses de réfugiés qui essaient de fuir la guerre à la porte de l’Occident. Mais d’ici là, le monde ne sera déjà plus le même. \


Auteur/trice