J’ai un peu peur ces temps-ci. Peur qu’on soit en train de lentement glisser vers une période trouble.  Vous avez probablement vu passer la nouvelle si vous faites partie de 99 % de la population qui détient un compte Facebook. On y apprend notamment que 62 personnes possèdent à eux seuls plus de 50 % des richesses de la planète.

Je lisais récemment un éditorial de Gary Younge dans le quotidien britannique The Guardian, qui s’intéressait à la course à l’investiture républicaine chez nos voisins du Sud, dominée largement par le grotesque Donald Trump, un homme qui doit l’essentiel de sa fortune à l’héritage paternel. On a longtemps cru à une blague, on a rigolé, en se disant que ça ne pourrait pas durer, mais force est de constater que l’homme est bien en selle dans les intentions de vote et que ses attaques contre les femmes, les Mexicains, les juifs, les musulmans, les Chinois, les immigrants, les handicapés et notre intelligence, plutôt que de lui nuire, lui ont plutôt bien servi…

Cela dit, Trump est moins une illustration de l’exceptionnalisme américain, que l’exemple par excellence d’une dérive populiste d’extrême-droite qui est en train de gagner une certaine popularité un peu partout en occident. Trump en est l’exemple suprême, mais son discours est façonné et adapté à son public, constitué majoritairement d’angry white men, ces hommes blancs, peu éduqués, qui croient que les changements climatiques sont une conspiration, qui croient qu’ils sont victimes de racisme de la part des afro-américains et des latino-américains, mais surtout, qui voient leur pouvoir d’achat baisser sans cesse depuis une vingtaine d’années. Et ils sont fâchés. On retrouve un portrait semblable en France, en Grèce, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, avec des partis populistes qui adaptent leur discours aux circonstances locales, en accusant les réfugiés syriens, immigrants et populations musulmanes, les Roms, etc. d’être à l’origine des problèmes économiques qui les accable. Dans une moindre mesure, on voit ce courant se manifester également au Canada et au Québec, à travers des groupes comme PEGIDA Québec ou Poste de veille. Mais les arguments qui font appel à la xénophobie semblent gagner de plus en plus en popularité ces derniers temps. Combien de temps avant que ce soit récupéré par le politique, si on exclut la maladroite charte des valeurs québécoises du PQ, et les réformes sauvages de l’aide sociale entreprises par Sam Hamad, déjà amorcées par Agnès Maltais auparavant ?

Certains voient ce mouvement comme une menace à la démocratie, alors que d’autres proposent que la situation est plutôt la conséquence d’une démocratie en crise, résultat d’une mondialisation dominée par une idéologie néolibérale à la recherche constante de la main-d’œuvre la moins chère et des lois (environnementales, fiscales, syndicales, etc.) les moins contraignantes possible. Ces conditions ont permis d’ériger les firmes multinationales et le secteur de la haute finance en des forces plus puissantes que jamais dans l’histoire de l’humanité. Bien plus puissantes que les gouvernements, qui doivent leur faire la cour pour obtenir des investissements… ou du financement électoral. Ce sont les détenteurs du capital qui ont le véritable pouvoir. Prétendre le contraire aujourd’hui relève d’une extrême naïveté ou d’un aveuglement volontaire.

Le problème, c’est que la mondialisation à la mode néolibérale n’a pas de noyau, n’a pas de visage. Elle est partout et nulle part à la fois. Outre Monsanto, Nestlé et Goldman Sachs, les cibles préférées d’une certaine gauche, impossible de mettre le doigt sur la source de nos problèmes. Quand les gens ordinaires perdent leur emploi, leur maison, leurs économies, ou voient leur niveau de vie et la qualité des services publics se dégrader continuellement, ils cherchent des coupables.

Récapitulons un moment : Les inégalités économiques s’intensifient de plus en plus un peu partout dans le monde, et une bonne proportion de ceux qui ne font pas partie du 1 % sont fâchés et cherchent des coupables. Mais blâmer l’idéologie néolibérale, la haute finance, les multinationales, c’est compliqué ces affaires-là. On veut des noms ! On veut des faces ! Les partis populistes d’extrême-droite, les Trump et Le Pen de ce monde surfent sur cette frustration et la récupèrent en ciblant des groupes facilement identifiables : immigrants, musulmans, réfugiés, BS, et autres minorités.

Est-ce que ce sont les immigrants payés au salaire minimum qui ont fourré le système qui a mené à la crise financière de 2008 ? Est-ce que ce sont les BS qui ont été sauvés de la faillite par l’injection de 2 500 milliards de dollars (vous avez bien lu) en fonds publics à l’échelle de la planète, parce qu’ils étaient « trop importants pour s’effondrer » ? Est-ce que ce sont les musulmans qui se sont ensuite payé des bonus gigantesques alors qu’ils avaient contribué, tels des sociopathes, à faire planter l’économie mondiale ? Est-ce que ce sont les réfugiés syriens qui ont coupé le financement en culture, en aide aux personnes les plus vulnérables, en éducation ? Est-ce que ce sont les musulmans qui ont laissé nos écoles, cégeps et universités en ruine, alors que les banques et les pharmaceutiques font des profits records et que le gouvernement actuel, piloté par un médecin et 2 ex-banquiers, ont décidé que ces secteurs ne faisaient pas partie du club austérité ? Bien sûr, il y a lieu d’avoir des débats sains sur l’efficacité de nos politiques d’immigration et d’intégration, ainsi que du filet social pour protéger les plus vulnérables : ces débats sont importants et nécessaires. Encore faut-il que ce ne soit pas un dialogue de sourds, hyper polarisé comme on le voit trop souvent ces derniers temps.  De grâce, ne tombons pas dans le piège. \


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