C’était par une froide nuit d’hiver. Le feu a pris chez le voisin qui avait un magasin général. Un très très gros feu! Tout brûlait! Mon père est sorti pour aider à l’éteindre. Ça chauffait tellement que les fenêtres de notre maison, de l’autre côté du rang, ont dégivré… À un moment donné, papa est entré en hurlant de décamper parce que les vents allaient amener le feu chez nous.

 

Alors, ma mère alla chercher sa relique de la bonne sainte Anne. Elle l’avait achetée et fait bénir lors d’un pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré. Elle accrocha son précieux bien à la fenêtre faisant face au feu et commença à prier… Et le vent tourna et nous fûmes sauvés, mais le magasin a été complètement détruit. 

 

Est-ce là un conte ou une légende? Non, c’est le récit de ma mère. Il remonte à ses dix ans, vers la fin des années quarante. Ce n’est pas plus précis, car elle veut taire les noms. Pourtant, tout est là : le feu, le froid, la famille, la foi…

Depuis environ trente ans, il y aurait le feu dans les finances publiques du Québec; la dette pourrait nous calciner! On nous a tant et tant fait peur avec ça qu’on finit par y croire. Les solutions infligées pour éteindre ce brasier sont-elles les bonnes? Mais oui, voyons! Car on nous les a tant et tant enfoncées dans l’esprit qu’on finit par les trouver naturelles. Donc, il faut couper dans le gras. Là se trouve le message de ce matraquage.

Nos dirigeants disent agir en bons pères de famille. Et le bon père fait ses choix, puis les impose. Il nous ordonne donc de sortir de notre confort et de faire des sacrifices.

Il ferait pourtant très froid sans cette maison que nous avons bâtie. Ma mère se souvient de cette époque. Les femmes demeuraient chez elles et prenaient soin des enfants. Il n’y avait d’éducation que pour les riches. Nos aïeux s’endettaient pour faire soigner les malades. L’électricité était contrôlée par des étrangers qui profitaient de nous…

C’est ça, le froid! Il est encore présent dans nos mémoires. La vente de feu actuelle vise les biens collectifs dont nous nous sommes dotés afin de nous mettre à l’abri des intempéries. Et on retourne en arrière… De plus en plus d’enfants fréquentent des écoles privées, de plus en plus de gens paient pour se faire soigner… Ces coupures, dites nécessaires, nous dépossèdent des moyens d’exister ensemble avec dignité.

Désormais, nos fenêtres dégivrent et nous y voyons clair. Plusieurs refusent de revenir au passé. Pour protéger ce qui nous est essentiel, on commence par des chaînes humaines. Un nombre grandissant de personnes se prennent en main et se la donnent. Ça fait symbole! C’est devenu normal de voir ces manifestations, alors qu’il y a un an, elles étaient l’exception.

Il n’y a pas de relique de la bonne sainte Anne pour faire tourner le vent de bord. La foi que nous avons en nous sera tout aussi efficace et il faudra être très très nombreux à joindre la chaîne.

C’est maintenant à notre tour de poursuivre le récit. \


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