Connaissez-vous le dessin animé South Park? Depuis ses débuts en 1997, ce dessin animé pour adultes est passé d’épisodes loufoques à l’humour primaire, pour se transformer progressivement en savoureuse et audacieuse satire sociale, tout en conservant son côté scabreux. La série offre un regard critique coup-de-poing sur la société américaine et l’Occident en général. Au fil des années, presque aucune cause n’aura été épargnée : l’avortement, la guerre en Irak, le star-system, la drogue, les causes environnementales, le mariage gai, la scientologie, le mormonisme et les religions/sectes en général, la politique, les armes à feu, l’embourgeoisement… et la censure. South Park est aux États-Unis ce que Charlie Hebdo est à la France. 

Les deux auteurs de la série, Matt Stone et Trey Parker, se considèrent comme des  equal opportunity offenders , ce qu’on pourrait traduire en français par quelque chose comme des emmerdeurs universels, pour qui la connerie n’a pas d’âge, de religion, de genre, de race ou d’allégeance politique, et doit être dénoncée partout où elle se trouve, même si c’est dans nos propres valeurs… ce qui exige un bon travail d’introspection et d’autodérision.

Pourquoi je vous parle de South Park? Parce que pour sa 19e saison, la série a décidé de diffuser dix épisodes visant à s’attaquer à un mal qui résume bien notre époque et qui commence à m’emmerder royalement : la rectitude politique d’une certaine gauche ultra-inclusive qui semble avoir perdu l’essentiel de sa capacité de jugement. Et qui menace, dans une certaine mesure, la tenue de débats d’idées en tentant de museler ses adversaires, alors que ces débats sont plus essentiels que jamais dans nos sociétés qui font face à des défis complexes.

Dans South Park, cette gauche moralisatrice est incarnée par un nouveau directeur à l’école primaire de la ville du même nom, au Colorado : PC Principal, ou Directeur politiquement correct. Ce douchebag blanc, hétéro, financièrement à l’aise, cis (Google est votre ami) et ses amis font la promotion agressive d’une inclusivité à l’extrême, sans aucune espèce de nuance, pour protéger les minorités : obèses, pauvres, femmes, handicapés, homosexuels, transsexuels, malades mentaux, réfugiés, ethnies, etc. Le moyen d’y parvenir est de détruire quiconque émet quelque réserve qui pourrait un tant soit peu être interprétée, souvent très librement, comme étant offenssante et donc oppressive envers une minorité.

La saison atteint son paroxysme lorsqu’une certaine élite bien-pensante mandate un enfant de censurer tous les commentaires négatifs des médias sociaux, afin de vivre libre de toute humiliation ou intimidation, et qu’un nouveau personnage entre en scène, un justicier vêtu d’une cape, nommé sans aucune subtilité Reality, qui avance qu’aucun groupe ne devrait être à l’abri des critiques, peu importe sa condition.

You’re sad that people are mean? Well I’m sorry, the world isn’t one big liberal arts college campus! We eat too much, we take our spoiled lives for granted, feel a little bad about it sometimes!  (“Vous êtes tristes que des gens soient méchants? Je suis désolé, mais le monde ne se résume pas à un campus de Cégep en Arts et Lettres! On mange trop, on prend nos conditions de vie de privilégiés comme étant acquises… On devrait s’en culpabiliser, de temps en temps!”). 

Je suis moi-même gros parce que je mange mal et que je passe la journée devant mon ordinateur. Ce n’est pas le cas de tous, mais je ne suis pas le seul. Il y a certaines prostituées qui pratiquent le métier parce qu’elles aiment ça, sans pimp, sans problème de drogue, sans être victimes. Pierre Bourgault disait : « Certains vendent leur tête, d’autres leurs corps. Je n’arrive pas à voir la différence. » L’islam, comme toutes les religions et sectes sur terre, a son lot d’imbéciles extrémistes et misogynes qui font de bien mauvais immigrants. On peut être à la fois une personnalité transsexuelle et idiote. Les deux traits ne sont pas mutuellement exclusifs. Et on devrait avoir le droit de pouvoir le dire sans passer pour une personne transphobe. On peut être asiatique et raciste. Eh oui, ça existe, pas mal plus que vous ne le croyez! Et bien qu’il y ait un manque significatif de diversité à la télévision québécoise (comme sur le marché du travail, d’ailleurs), il y a un univers de différence entre maquiller un acteur blanc en noir pour imiter une personnalité connue, et le blackface, qui consiste à maquiller grossièrement un blanc en noir en exagérant ses traits afin de se moquer des stéréotypes noirs, une pratique inacceptable depuis longtemps révolue. Il faut reconnaître que la stratégie était bonne : assimiler un simple maquillage au phénomène de blackface pour attirer l’attention et avoir 15 minutes à Tout le monde en parle pour parler de l’enjeu réel, le manque de diversité. Mais c’est de la malhonnêteté intellectuelle. Crier au racisme dans une situation semblable n’est pas sans conséquence… Je pense ici à une des fables d’Ésope, Le garçon qui criait au loup. À force de créer des tempêtes dans un verre d’eau, on risque de se brûler et de rendre notre auditoire indifférent aux vrais enjeux. 

Boucar Diouf s’est prononcé l’an dernier à propos de l’un de ces faux scandales de blackface dans La Presse : “Si cette dame qui est universitaire et spécialiste de la traite négrière trouve le Québec raciste à cause d’un déguisement trop foncé, elle devrait publier un guide de maquillage imposant aux blancs les limites de noirceur et de taille de babines compatibles avec sa rectitude politique.” La réponse de certains représentants de la communauté noire? On l’a traité de “nègre de service”… Oh, douce ironie!

La construction d’amalgames faciles et la démonisation, voire la volonté de censure de ceux qui refusent d’embarquer dans les croisades d’inclusivité de ceux qu’on appelle les Social Justice Warriors, ou guerriers pour la justice sociale [traduction libre], sont malsaines, car elles ont pour effet de détourner les débats sur les vrais enjeux sociaux, monopolisant l’attention en créant parfois des victimes et en cherchant toujours des coupables. Désolé, mais il faut vivre dans un monde en noir et blanc pour croire en un tel monde binaire. Depuis quand la nuance et la capacité de discernement sont-elles devenues des défauts?

On se dit une société moderne. Comment se fait-il que j’aie l’impression que les textes de RBO, des Cyniques et Nigger Black d’Yvon Deschamps, textes à la fois ironiques et pédagogiques qui appartiennent au passé, créeraient un tollé aujourd’hui ?

Le génie de South Park, c’est d’avoir trouvé le moyen d’explorer les tensions, les malaises qui ont cours dans notre société en les faisant exploser, par hyperboles. Par ce procédé, ses créateurs ont réussi à stimuler la réflexion et le débat plus que jamais en exposant la connerie, peu importe où elle se trouve.

Je lis de plus en plus souvent des trucs du genre “le simple fait qu’une pratique offusque des gens devrait être suffisant pour qu’on arrête”, parmi la communauté des guerriers de la rectitude politique. Comment dire.. Si on pliait à tous ceux qui n’aiment pas x ou y chose,  on vivrait dans une société complètement aseptisée, bien triste. Aujourd’hui, il y a toujours quelqu’un pour s’offusquer de quoi que ce soit, et les offusqués ne se gênent pas pour user les tribunes qui leur sont offertes (Facebook, Twitter, etc.) à la recherche d’appuis, car comme on le sait… toutes les opinions se valent, n’est-ce pas? 

Des gens qui se battent pour la justice sociale, nous en avons besoin plus que jamais dans un contexte de corruption politique généralisée au Québec, avec une élite au pouvoir qui est rongée par la gangrène et qui est loin de gouverner dans l’intérêt commun. Il faut continuer à dénoncer l’injustice et les dérives idéologiques sous toutes leurs formes : politiques d’austérité, sexisme, homophobie, xénophobie, inégalités sociales, et tant d’autres.  C’est pour cette raison qu’il faut cesser de donner de l’importance à une petite frange d’extrémistes surreprésentés, à qui on donne trop souvent la parole pour se donner bonne conscience. Il est temps de s’opposer à ces nombreuses dérives ridicules et de recentrer les débats sur les vrais enjeux.

Ah, et avant de vous laisser, savez-vous ce qui arrive au personnage de Reality, cet opposant à la rectitude politique, à la fin de l’épisode, alors que les crédits roulent à l’écran ? Le personnage qui a osé dire ses quatre vérités aux guerriers pour la justice sociale est amené sur la place publique et lynché, sous l’applaudissement de la foule… \


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