Un budget, ça reste fondamentalement assez simple. L’argent qui entre, l’argent qui sort. Deux colonnes : les revenus et les dépenses. Il faut avoir les yeux ouverts et s’assurer que l’argent entre comme prévu et qu’il sorte intelligemment, pour des choses utiles.

Malheureusement, les budgets et leur équilibre sont devenus depuis vingt ans nos seuls projets de société. Les politiciens sont devenus des comptables ou des gérants de banque. Le seul horizon offert, c’est la balance du budget. On en chante les louanges, on en fait de la prose, comme Leitao dans son dernier discours : « L’espoir entre toujours par la porte que l’on a laissée ouverte. » Je comprends qu’on ne peut vivre éternellement à crédit. C’est intenable.

Mais ce que je sais aussi, c’est que depuis vingt ans, partout, la stratégie pour équilibrer tout ça se résume en deux choses simples et peu courageuses : s’attaquer à la colonne des dépenses et taxer davantage la classe moyenne. À coups de coupures, de « réingénieries », on cherche à dépenser moins. On nous chante qu’on vit au-dessus de nos moyens. En même temps, on multiplie les hausses de tarifs. Ici, c’est l’Hydro, les CPE, la SAAQ. Au nom de la rigueur budgétaire. « Peuple, ouvre les yeux ! » Mais ça aussi, c’est devenu intenable. Et ce l’est encore plus depuis un mois. Une raison : les Panama Papers.

On a appris qu’à l’aide de sociétés-écrans, des riches et des puissants, dont 140 responsables politiques (la honte !), ont caché des milliards. À l’abri de l’impôt. Qui devraient être dans les coffres des états pour servir à tous. C’est la caverne d’Ali Baba et des milliers de voleurs. Statistique Canada estime que les entreprises canadiennes ont placé à ce jour 199 milliards de dollars canadiens dans les paradis fiscaux. Alain Denault, prof à l’UQAM, a écrit quelques livres là-dessus. Pour lui, c’est le peuple qui fait les frais de ces bandits de grand chemin : « La population paie le gros prix quand les multinationales et les gens fortunés délocalisent des actifs dans les paradis fiscaux. Pendant ce temps, on vote des budgets d’austérité. »

Que disaient nos gouvernements donc ? Qu’il n’y avait plus d’argent dans la caisse ! Depuis des années, ils ont fermé les yeux sur la colonne des revenus. Pas grave, on a des ciseaux ! Oh ! Ils se sont attaqués au travail au noir, aux transactions sans facture, pour une job de peinture. Ils courent après les citoyens fautifs ou distraits, parfois pour 500 dollars impayés il y a trois ans. Mais des entreprises, des millionnaires, des célébrités (parfois des donneurs de leçons aux riches) ont les coudées franches, la tape dans le dos presque, et les moyens d’engager des experts pour gérer leur immoralité.

D’un côté, des riches qui ne veulent pas partager, aidés de laquais-comptables serviles. De l’autre, des plus pauvres, à qui on demande les plus grands efforts, parce qu’on leur fait croire qu’ils sont trop gâtés. Marx ne serait pas surpris, ça sent la lutte des classes. \


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.