Jenny Corriveau

Toi et moi, on est bien différents, mais pas tellement en même temps. On partage une attirance certaine envers le milieu culturel. On aime, à différents degrés, les arts de la scène, la musique, la littérature, la peinture, la poésie, la politique, etc. Venons-nous du même endroit ? Pas nécessairement. Avons-nous le même âge ? Probablement pas. Nous sommes deux entités distinctes, mais qui s’intéressons sensiblement aux mêmes choses, aux mêmes causes. La plus grande différence entre nous, gourmands culturels, curieux sociaux, je dirais que c’est l’âge. Puis l’âge, c’est dans le cœur qu’on le voit, pas dans le creux des rides, ni dans l’os arthrosé. Fait qu’au fond, on n’est pas si différents que ça !

 

C’est l’été. Il fait chaud et les vacances sont à nos portes. L’école est finie, les camps de vacances commencent et la haute saison de divertissement festivalier aussi. On a tous des

projets pour la saison chaude qui s’en vient. Une toiture à refaire, un spectacle à voir en plein air, une nouvelle terrasse à essayer… Pour la plupart, on n’a que deux ou trois semaines, jumelées aux quelques fins de semaine de beau temps, à remplir d’activités. On se plaint tous, sans exception, qu’on manque de temps. Mais manquer de temps, ça fait son temps. Qu’adviendra-t-il de nous, plaignards temporels, lorsque nous serons retraités ? Meubler un horaire à 100 % vide, c’est quand même une job à temps plein ! Là où le bât blesse, c’est dans l’offre.

 

Ce que je trouve triste en cette époque de consommation, c’est qu’une génération (la mienne) a un choix grandiose en ce qui a trait à sa consommation culturelle, alors qu’une autre est mal évaluée, piètrement desservie et j’irais même jusqu’à dire négligée.

 

Qui a décidé que nos aïeux n’allaient consommer que ce qui se faisait « dans l’bon vieux temps » ? Est-ce que votre grand-mère écoute réellement, encore aujourd’hui, ses « longs jeux » d’Alys Robi ? Depuis 76 ans ? Vraiment ? Je m’imagine bien mal à 93 ans, figée dans une boucle temporelle musicale infinie à me déhancher la prothèse au son de ma vieille cassette usée des B.B. !

 

Certaines résidences ont emboité le pas pour offrir à leur clientèle un début d’offre culturelle plus diversifiée. Je pense aux Jardins du Patrimoine de Rouyn-Noranda qui ont récemment invité Saratoga. J’ai d’ailleurs récemment eu un entretien avec Chantal Archambault qui exprime avoir vécu une rencontre magique avec un nouveau public curieux et participatif : « Nous savions que nous avions quelque chose à offrir à cette génération surtout par le fait que notre style musical est accessible et intemporel. Cette expérience fut tellement agréable que nous avons eu envie de répéter l’expérience aux Jardins du Patrimoine de Val-d’Or. » En discutant, elle me dit que, selon elle, l’idéal pour les divers résidences serait de contacter les booker des artistes de passage dans leur coin afin d’offrir aux artistes la possibilité de se produire en version acoustique dans ces lieux. Ça donne l’occasion aux artistes de jouer deux fois plutôt qu’une et aux gens d’avoir accès, chez eux, à ce qui se présente autour d’eux en termes de culture. Tout le monde y gagne.

 

J’ai eu la chance d’assister à une représentation d’Amos vous raconte son histoire qui a présenté sa version en salle du circuit historique aux Jardins aussi, mais à Amos cette fois. N’ayant pas toujours la santé requise pour parcourir le circuit interactif, les aînés étaient ravis de voir une production se déplacer, chez eux, pour eux. Leurs yeux pétillants de bonheur m’ont rempli le cœur.

 

La plupart des spectacles ne conviennent pas nécessairement à l’horaire typique du parfait petit octogénaire, un mosh pit n’est pas l’endroit le plus sécuritaire du monde pour le manieur de marchette et un rave n’est pas la place où tester son pace maker. À chaque événement son public. Dans cette société d’accommodements raisonnables où nous adaptons tout pour faire plaisir à tout le monde, pourquoi ne ferions-nous pas un effort collectif pour accommoder nos aînés ? Moi aussi je serai vieille un jour. J’espère bien que ça bougera plus que ça parce que mon hyperactivité assumée va frapper un mur de brique, direct dans l’dentier.

 

Heureusement pour nos doyens sociétaires, certains vétérans sont d’infinies bombes d’énergie. La pile rechargeable à spin, ces p’tits lapins Energizer ancestraux s’affairent à faire bouger les choses ! Je pense à Réjeanne la fabuleuse qui réside chez Bleu Horizon, à Rouyn-Noranda. Mon cœur fut solidement happé d’un gros coup de foudre amical lorsque j’ai rencontré cette septuagénaire au cœur de 20 ans. Réjeanne s’est réveillée une bonne nuit avec une envie folle : écrire une pièce de théâtre. L’idée qui émergeait était si puissante, qu’en une nuit, tout prêt, du scénario à la mise en scène, une vingtaine de rôles attendaient ses comparses de la résidence qui, pour la plupart, n’avaient jamais foulé ne serait-ce qu’une demie-planche scénique. Pas une mince tâche vous me direz ! Si vous pensez que ça allait freiner son ambition ! Au petit matin, turbo-Réjeanne était prête à diriger ce qui allait devenir L’Ultime sketch ! Pensé pour eux, écrit par eux, joué par eux, livré pour eux, mais aussi pour vous. Victime de son succès anticipé, propulsée par la belle Élaine, l’animatrice-rayon-de-soleil de la résidence, la pièce s’est retrouvée à faire salle comble au Petit Théâtre du Vieux-Noranda trois fois plutôt qu’une ! La beauté là-dedans, c’est qu’ils reviennent cet été avec 22 comédiens qui, à l’heure actuelle, sont en répétition pour L’Ultime Sketch, la finale !, à l’affiche au Petit Théâtre du 25 au 28 août cet été. Si ça te dynamise pas un milieu ça !

 

Ce que je trouve beau de l’âge d’or, c’est la quasi-absence d’inhibition. La plupart ont tellement d’acquis dans la vie qu’ils ne se bâdrent plus de détails comme « D’un coup que j’aurais l’air fou ? ». Allô l’autodérision, ici la dame dans le spotlight, vient jouer !

 

Belle Jeannine, radieuse mère-grand aux 87 printemps qui plonge tête première devant une foule et s’improvise humoriste le temps d’un stand-up lors d’une soirée open mic aux Jardins, à Amos. Ma grand-mère, humoriste en herbe ! Et l’autodérision dont elle a fait preuve alors que, stressée, elle s’est enfargée dans son texte et a pouffé de son rire contagieux : « Ha ! J’me su’ toute mêlée ! » et qui a recommencé, comme si de rien n’était, devant les yeux rieurs des spectateurs. En plus de constater que scrapper un punch relevait de l’hérédité, j’ai vu une grand-mère heureuse et épanouie. C’est bon pour l’âme d’une petite-fille, ça.

La culture, c’est eux, c’est nous, c’est tout. On la voit, on la fait, on la mange, on la lit, on la vit. C’est dans la diversité, l’offre et le partage qu’on doit travailler. Se parler entre générations, briser les barrières, se découvrir et se divertir. Quand je serai vieille, je serai encore jeune, et si je me retrouve dans une résidence, coincée sans pouvoir bouger faute de motricité, j’espère que l’offre me suivra et que je pourrai laisser mon hyperactivité de côté pour me reposer, en me faisant remplir les cinq sens de cette culture qui gravite, bouillonne et émerge autour des générations descendantes. \


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