« Au lieu d’utiliser des fusils pour nous exterminer comme le faisaient les gunmen américains de l’autre côté de la frontière, on nous força graduellement à nous sédentariser dans des réserves. De nomades que nous étions, nous voilà confinés sur des terrains de la dimension d’un terrain de football, souvent pour des centaines d’entre nous. »

– Richard Kistabish, Pikogan

Les Éditions du Quartz ont lancé le 27 mai au Salon du livre de l’Abitibi-Témiscaminguel’ouvrage de Marie-Pierre Bousquet sur les Algonquins du Québec, le « Peuple invisible », selon l’expression choisie comme titre pour leur film documentaire par Richard Desjardins et Robert Monderie.

L’histoire des Algonquins ou Anicinabek est marquée de ses origines à nos jours par des bouleversements liés aux disputes territoriales entre groupes amérindiens puis, avec l’arrivée des Blancs, aux conséquences du commerce des fourrures, de la colonisation de l’Outaouais, du Témiscamingue et de l’Abitibi, et aux diverses politiques d’exclusion, de sédentarisation et d’assimilation forcée des gouvernements successifs au Canada.

« Ce livre […] traite de nostalgie au sens propre du terme, c’est-à-dire de la souffrance causée par le désir, impossible à satisfaire, de revenir chez soi. Les Algonquins ne peuvent retourner vivre sur leur territoire. Mais cette nostalgie est paradoxale : ils n’ont jamais quitté ce territoire, puisque leurs communautés sont situées en son sein. La question de base que pose cet ouvrage est donc : peut-on être déraciné chez soi ? »

L’ouvrage de l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet, professeure au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, évoque la transition entre nomadisme et sédentarité, le passage de la vie dans le bois sur leurs territoires de chasse au confinement sur des réserves ou des établissements, ainsi que les effets de la colonisation sur leur langue, leur culture, leur mode de vie, leur éducation et leur santé.


« Chaque génération vivant sur une réserve correspond à peu près à une phase de transformation de l’histoire récente des Algonquins. Ceux nés avant 1945 sont souvent nés dans le bois, sont rarement allés à l’école et ne parlent guère que l’algonquin. […] Les hommes et les femmes nés entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1960 sont allés dans les pensionnats pour les Indiens, passant brutalement de la vie familiale en forêt à une immense structure où les enseignants […] les obligeaient à parler français. C’est le passage à la vie en réserve, une période de fort traumatisme généralisé avec une hausse spectaculaire de l’abus d’alcool et de la violence familiale, accompagné d’une rupture dans la transmission des savoir-faire et de la langue qui se manifeste notamment par la perte d’une grosse partie du vocabulaire lié à la vie en forêt. […] La génération post-pensionnat, née entre la fin des années 1960 et le début des années 1990, est allée à l’école avec les Blancs, comprend et parle encore souvent l’algonquin, et se sent victime du traumatisme de la génération précédente. »


Laissons la parole à Maurice J. Kistabish, de Pikogan, préfacier et directeur, avec Margot Mowatt-Boudreau, de la collection Bâton de parole aux Éditions du Quartz :


« Ce livre […] nous emmène dans un voyage qui nous permet de mieux connaitre ce peuple fier, avant et après le contact avec les Européens. […] De nos jours, les Anicinabek tentent de se réapproprier leur identité culturelle, le contrôle de leur destinée et de leur territoire en redéfinissant leur relation avec la société québécoise et canadienne. L’ouvrage de Marie-Pierre Bousquet traite de cette tentative de reconstruction et des difficultés rencontrées. Bien que la relation entre Autochtones et Allochtones ait fait l’objet d’une certaine amélioration au niveau planétaire avec la“Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones”, adoptée par les Nations Uniesen septembre 2007 et ratifiée par le Canada en 2011, il reste beaucoup à faire aux deux paliers de gouvernement pour améliorer le sort des Anicinabek et la relation entre Allochtones et Autochtones, et pour rendre les rapports avec les ces derniers plus égalitaires. »


« La crise qui fait rage au moment de rédiger ces lignes sur le cas des femmes autochtones abusées dans la ville de Val-d’Or est un exemple concret de cette difficulté de vivre en harmonie. Les commissions s’enchaînent depuis les années 1960, publiant rapport sur rapport, reconnaissant les injustices commises à l’égard des Autochtones et recommandant des mesures pour y pallier. Il y a donc encore du chemin à parcourir pour établir une relation de gouvernance équilibrée et juste entre les nations autochtones du Québec et les gouvernements provincial et fédéral. Ce livre contribuera à cette réflexion en permettant de mieux connaitre le peuple anicinabek. »


Aux Éditions du Quartz, nous avons été séduits par la qualité d’écriture de l’auteure, par les nombreux extraits d’entrevue qui donnent à cette lecture son côté vivant, humain, sensible, et par la richesse des connaissances exposées sur le passé et le présent des communautés algonquines, ainsi que sur leurs perspectives propres à propos de leur futur.


« Comment prétendre que l’on fait partie d’un pays si celui-ci exclut ses premiers habitants et si l’on ne sait rien sur eux ? » \


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