Le titre du dernier recueil de Virginia Pésémapéo Bordeleau, Je te veux vivant, paru aux éditions du Quartz en octobre dernier, porte la promesse d’une œuvre contre le renoncement. Divisé en deux parties sobrement intitulées « Poèmes pour Simon » et « Poèmes pour Norbert », c’est un livre qui reflète la ferme intention de la poète de ne pas se laisser faire par la vie et ses soubresauts. C’est un livre qui se lit pour commuer les affres de la mort, apprivoiser les caprices de la maladie et confondre les incertitudes de l’amour. Refusant de se complaire dans la nostalgie et la résignation, l’auteure réaffirme par sa poésie la beauté de l’amour et la contemplation de la vie, la douleur de la séparation et la violence de l’espérance.

L’un des thèmes frappants de ce recueil s’articule autour du mouvement dans une réappropriation mythique. Il s’agit du mouvement du cœur qui bat tour à tour au rythme de l’amour d’un fils et à celui de l’amour d’un homme. Ce double mouvement du cœur restitue à la poète la résilience de la mère éplorée par la perte de son enfant et la dignité de l’amoureuse délaissée. Dans un premier temps, la poète se retrouve dans un tête-à-tête avec cet enfant, absent définitif dont la poésie transcende la mort, pour « porter un toast ». En fait, elle refuse la mort, elle comble le vide de l’absence. Le « sourire encadré » de son enfant remplit la « plaine de [son] ventre désertée ».

Loin de se répandre en larmes et en reniflements, elle lève son verre à la lueur de « la chandelle », « danse et rit / Un balai comme partenaire » (p. 24) pour conjurer la violence de sa « blessure dans la poitrine » (p. 22). Elle réinvente l’enfant absent et le ranime par son art : « Je te ferai un tableau à l’encre sang / Avec ta lumière comme éclairage / Mais où es-tu? » (p. 23). Elle s’entoure de toute la bagatelle, désormais investie d’une charge affective, qui lui rappelle l’enfant absent : « Ces petits papiers / […] / Transit de la Caisse populaire / Numéros de compte folio / Tes cartes de totems » (p. 15). Malgré tout, la tristesse et l’ennui la rongent, car elle trouve le temps de « rempli [r] toutes les cases / Sudoku mots croisés gaufrier » (p. 23). Cette figure de l’enfant absent opère un déplacement du point de vue symbolique. En effet, son absence se substitue à celle du père. Ainsi, ce père qui n’a même pas d’absence devient inexistant, ce qui conduit à l’apparition de l’amant.

Dans ce second mouvement, la poète se signale auprès de son amant comme une femme indépendante, fière et résolument moderne. Face à l’amant qui la trahit, le ton est ferme, injonctif, sans concession : « Je n’aurai pas la loyauté de la femme du guerrier / Parti sur des chevaux de bataille » (p. 32). Pénélope ultramoderne, sa fidélité n’est pas un engagement inconditionnel. En se rapprochant du personnage d’Homère, la poète le ringardise et s’en dissocie paradoxalement. Pénélope représente un personnage passif, elle attend le retour d’Ulysse dans un état d’expectative. Son activité de tissage souligne cette passivité. Contrairement à elle, Bordeleau se meut, va au-devant des mers et des forêts, escalade les collines. Mais cette Pénélope du vingt-et-unième siècle reste une grande amoureuse trahie.

Du haut de sa fierté de femme moderne, elle rumine l’affront et elle lance la sentence à son Ulysse sensible au chant des sirènes : « Tu danses avec elle / Tu crois qu’elle t’emporte / Alors vas-y valse et meurs » (p. 31). Mais il ne faut pas s’y méprendre, car ce verdict vise l’auteur de l’affront, non l’amant dont elle espère le retour. C’est une espérance qui la fait trépigner : « Mon cœur comme un fruit / Qui bat au tambour de l’espoir » (p. 37). Avec un érotisme incandescent, elle entretient le souvenir de l’amant parti dans un mouvement de corps à corps : « Mon ventre à la porte du désir / […] / Je suis en attente du moindre tremblement / […] / Je deviens brasier sous ton soupir » (p. 48). Mais très vite, elle vacille, elle doute : « Que ferais-je de mes doigts sensibles à ta soie » (p. 37). Ce va-et-vient incessant des émotions traverse tout le texte, créant ainsi une esthétique du mouvement. Il y a mouvement du cœur qui aime mais aussi de l’auteure dans sa façon d’habiter l’espace. \


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