Après avoir grandi à Senneterre, puis s’être exilé pour devenir peu à peu une légende dans le petit monde québécois des conteurs, André Lemelin est de retour dans la région pour une série de spectacles.

« André Lemelin, pour moi, c’est d’abord un créateur », dit la conteuse autochtone Joséphine Bacon. « Dans sa tête, il a toujours quelque chose qui nait, de nouvelles images pour le bonheur des gens qui l’écoutent. Il a donné naissance à bien des festivals et une fois qu’ils étaient montés et bien en santé, il partait pour créer autre chose ailleurs. C’est un nomade du conte! »

Dans le cadre du Festival de contes et légendes en Abitibi-Témiscamingue, Lemelin a donné un méga show à la bibliothèque municipale. Un public préscolaire chauffé à blanc l’a vu et écouté avec attention pendant une heure entière. Lemelin, parfois en équilibre sur une grosse boite, se défend contre un géant (aussi fait de boites de carton), puis fait disparaitre la méchante professeure/sorcière et devient un héros dans son école primaire, tout ça avec l’aide de son fidèle ami Optimus, le chat qui parle.

« Il y a eu comme une coupure entre les pratiques amateurs traditionnelles et les pratiques professionnelles scéniques, explique André Lemelin. Là, le créneau traditionnel est assez pris, puis le créneau professionnel est assez plafonné, dans le sens où on n’a pas une masse critique pour déborder. Ça fait qu’on tourne en rond. Beaucoup de conteurs décrochent parce qu’ils n’arrivent pas à être professionnels. Pas parce qu’ils ne sont pas bons. Parce qu’on n’a pas les structures, les salles et les réseaux, pis après 3 ou 4 ans à frapper un mur, tu tombes amateur ou tu t’arrêtes! »

Un second conteur se présente : « André Bernard, conteur cycliste. J’invente des contes autour du vélo ou je les approfondis en pédalant. » Sauf que ce samedi-là, André Bernard ne parle pas de vélo, mais de minerais. C’est l’activité Contes de mines au marché public Agnico Eagle. Comme technicien minier, André Bernard démontre sa maitrise du vocabulaire en narrant au public du festival les aventures d’un mineur polonais, d’autant moins loquace qu’il a coutume de cacher des pépites d’or sous sa langue…

« Le jeudi, après avoir fait l’épicerie, j’allais prendre une bière au Rafiot, un bar de Val-d’Or, dit André Bernard. À ce moment, on y organisait des soirées de contes. Ça a duré quelques années. Le premier texte que j’ai conté était de Richard Desjardins : Le gout de l’or. Un texte vraiment bien structuré que j’ai récité de façon intégrale. » Conte à lire avec un fort accent espagnol : « Capitan, écoutez-moi! J’ai maitrisé la Terre de Feu, l’enfer de glace! J’allais heureux en transformant mes volontés en or massif… Jamais je n’aurais cru périr par le mouvement du vide… »

CamyAnne Garceau Bédard, 20 ans, est la nièce de Nicole Garceau, la présidente du Festival régional de contes et légendes. CamyAnne est montée sur la scène de la grande salle du festival avec une enviable prestance. Elle a invité le public à taper deux fois des mains lors des moments forts de son histoire puisée dans le livre 1001 contes de la nature à la bibliothèque : « Comme c’est un conte qui parle de la forêt, je l’ai pratiqué deux fois en parlant seule en pleine forêt. Je pense qu’en général, le conte n’est pas assez populaire. Les gens vont dans des festivals où il y a de la grosse musique, mais le conte, c’est pas assez connu. Câline! C’est tellement beau, le conte! »

Claude Boutet, lui, est un professeur d’informatique au collégial qui appuie le festival pour une 14e saison : « J’ai d’abord été organisateur d’évènements, ensuite j’ai conté. C’est demeuré un loisir, pas une profession! » D’abord au bénéfice des cégépiens, puis du grand public. Claude apprend le violon sur un vieil instrument de bois auquel il manque une volute (un bidule en bois). Il dit vouloir s’en inspirer pour orienter l’intrigue de son prochain conte qui s’intitulera Le mystère de la volute fantôme du rang Sept…

Puis, Claude Boutet s’exclame : «  Marta est bien belle! », en se référant à la professeure retraitée Marta Saenz de la Calzada. « Je lui dis toujours qu’elle est belle. C’est une dame très intense… Marta est une femme d’Espagne, on entend ça dans ses contes. »

Martha a gagné un concours narratif à Cuba. Avec le même conte, elle s’est classée deuxième au Concours de la grande menterie de Val-d’Or. Le format de 8 minutes du concours est le seul responsable de cette contreperformance. Marta a trop tardé au début pour camper son histoire, ce qui l’a obligée à larguer en peu de mots le punch final de ce conte qui raconte son propre combat contre la solitude à Rouyn-Noranda avec toute l’humilité et l’émotion d’une dame qui sera toujours la plus belle.

«  Je viens du théâtre, dit Marta, mais c’était devenu compliqué. Je suis passée de jeune première avec un accent à vieille femme avec un accent. Nicole Garceau m’a invitée (à Val-d’Or) à venir conter un conte. Ça me permet de maintenir le contact avec le public. »

Pierro Labrèche, conteur abitibien à temps plein (surtout depuis qu’il a pris sa retraite de Postes Canada) a quant à lui chanté, en s’accompagnant à la guitare et à l’harmonica, pour quelques chanceux s’étant inscrits à une visite contée de la mine Bourlamaque.

« Mon père était le dernier d’une famille de dix enfants. Mon père faisait assoir toute la famille dans l’escalier, pis lui, en bas, il s’installait et leur racontait des faits de guerre. Mon père n’est jamais allé à la guerre de sa vie! Il avait dans le dos deux grandes cicatrices, car il avait été opéré de pleurésie étant jeune. Il leur racontait qu’il avait été attaqué par l’ennemi. C’est ce genre d’histoire là que mon père racontait. Pis en plus, il aimait chanter. Mal… mais il aimait chanter! Mon inspiration peut venir de là. »


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