Les gens de la région semblent porter un amour important envers les grands espaces et avoir à cœur la proximité de la nature dans leur vie quotidienne. Cela transparaît lorsque l’on s’attarde à des discours comme celui présenté dansla vidéo promotionnelle de l’organisme Valorisation Abitibi-Témiscamingue, où l’on présente avec fierté les atouts écologiques de la région.

« La région, c’est 65 000 km2 de lacs, de rivières et de forêts », dit-on. Quelque 65 000 km2 de « terrain de jeu » sans limites où 146 000 personnes se partagent 22 000 lacs, et dont la qualité de l’eau issue du réseau hydrographique souterrain est reconnue mondialement.

Que ce soit pour ses terres agricoles (une des plus importantes réserves de terres toujours cultivables en Amérique du Nord), ses forêts, la richesse minérale de ses sols, de même que ses atouts récréatifs, on y vante le potentiel immense de développement industriel de la région. Ce qui est mis de l’avant, c’est une qualité de vie que l’on attribue au mariage d’une prospérité économique et de la proximité de la nature.

Or, que sait-on réellement de l’état de santé de ces vastes territoires dont on fait l’éloge? Si la nature est véritablement au cœur de l’économie régionale grâce aux ressources naturelles qui en sont extraites, il semble qu’elle soit aussi (ou plutôt) l’éponge du développement industriel.

« 22 000 lacs »… traversés par des rivières polluées?

Sans surprise, les activités industrielles peuvent être source de pollution et de contamination. On n’a qu’à penser au déversement de matières résiduelles dans les sols, dans l’atmosphère, et dans l’eau. Récemment, l’Organisme de bassins versants Abitibi-Jamésie (OBVAJ) dénonçait une situation préoccupante par rapport à la santé des rivières. Dans une entrevue accordée à Radio-Canada, la chargée de projet de l’OBVAJ, Kimberly Côté affirme que les sources de dégradation de la qualité de l’eau des rivières seraient attribuables à certaines pratiques agricoles, aux mauvaises habitudes des utilisateurs des cours d’eau, mais aussi aux rejets industriels et d’égout des municipalités. En effet, aucun échantillon d’eau des rivières analysées à l’été 2017 ne présentait une qualité d’eau jugée bonne. L’organisme dénonce, surtout, un manque criant de données sur l’état des cours d’eau, ainsi qu’un sous-financement de l’État pour pallier cette situation.

« 65 000 km2 de terrain de jeu »… entre deux sites miniers abandonnés

Dans le répertoire des sites miniers abandonnés du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, on trouvait, en date du 31 mars 2016, 108 sites orphelins rétrocédés à l’État en Abitibi-Témiscamingue seulement. Pour environ 40 % des sites miniers abandonnés, la restauration serait soit incomplète ou non amorcée. Toutefois, la restauration de ces sites figure parmi les objectifs importants du Ministère. D’ici 2022, l’espoir est tel que l’on espère réduire de 80 % le passif environnemental des sites miniers abandonnés. Or, de ces sites, nous ne savons que peu de choses : ils sont nombreux, coûteux (plus de 20 M$ ont été dépensés entre 2007 et 2016 pour les sites dont la restauration est terminée), et ils ont desimpacts, mal définis, sur l’environnement et la santé publique.

La santé environnementale, une question de santé publique

Pour quiconque n’est pas spécialiste en toxicologie, il apparaît difficile de mesurer les conséquences de la contamination des sols et de l’eau sur la santé humaine, de même que sur la santé des animaux, poissons et végétaux qui sont à la base de régimes alimentaires et de subsistance. À cet effet, nous pourrions être en mesure d’attendre de la Direction de la santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSS-AT) qu’elle assure une de ses missions principales, soit celle de la prévention et la gestion des risques environnementaux. L’organisation a d’ailleurs produit un dossier cartographié consacré aux précautions à prendre pour les pratiques de cueillette, de pêche et de chasse pour le site Preissac Molybdénite, où le brûlage de barils de goudron à la suite de la fermeture d’une mine de molybdène et de bismuth a entraîné une contamination des sols et de l’eau par des composés toxiques et cancérigènes. Un dossier sur 108 sites miniers abandonnés : un constat pour le moins préoccupant quant à la capacité effective et financière de la Direction de la santé publique du CISSS-AT d’assurer contrôle et vigilance de l’environnement physique dans lequel nous évoluons.

Face à un portrait abstrait du legs environnemental de plus ou moins 100 ans de développement industriel sur le territoire de l’Abitibi-Témiscamingue malgré une présence humaine millénaire, les proclamations d’amour du territoire pourraient-elles, plutôt que d’entretenir une vision idyllique de la nature, servir de moteur à un engagement réel face à la préservation de la santé des écosystèmes, et de ce fait, de notre propre santé?

UN MOT SUR LA DÉMARCHE

Dans son sens toponymique commun, le terme Abitibi désignerait l’endroit où les eaux se séparent. « Malgré la route qui nous sépare » est un projet qui convie à un exercice littéraire des personnes originaires de l’Abitibi-Témiscamingue, ou qui y sont fortement attachées, qui y transitent occasionnellement, mais qui, en somme, résident ailleurs que dans la région. Le but de ce regroupement vise à créer et à diffuser des textes ou autres formes de créations portant sur des enjeux régionaux. En effet, nous souhaitons contribuer à stimuler le débat public ainsi que la participation populaire aux diverses décisions et réalités (politiques, économiques, écologiques, sociales, etc.) qui influencent le cours de la vie en région.

En collaboration avec L’Indice bohémien, nous vous proposons ainsi une série d’écrits qui se retrouveront périodiquement dans la version papier de la revue culturelle ainsi que sur la plate-forme web. Nous croyons que ce qui devrait nous séparer des réalités régionales, ne devrait être, en effet, qu’une route. Par l’entremise de ce projet, nous souhaitons affirmer activement notre engagement envers l’Abitibi-Témiscamingue.

Dans un esprit de dialogue, nous vous invitons à réagir et à partager vos commentaires et réflexions suite à la lecture des textes. Pour se faire, vous pouvez nous en faire part via l’adresse courriel suivante : laoularoutenoussepare@gmail.com


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