Politiquement, le Québec aime le centre-gauche. Je le crois. La bonne vieille social-démocratie, sauce scandinave. Il croit en la redistribution équitable de la richesse, il est encore fier de ses grands programmes sociaux. Il a apprécié la création des Centres de la petite enfance (CPE) et du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) ainsi que de l’adoption de la Loi sur l’équité salariale. Des mesures simples qui améliorent le quotidien des gens. Plusieurs en arrachent encore. Il faut donc les soutenir par le partage des richesses et une aide de l’État, sous différentes formes. Une gauche sociale. Ce qui n’empêche pas d’avoir le constant souci d’efficacité et de la responsabilisation individuelle.

Regardons globalement les choses. Depuis les années 1980, ici et ailleurs, les grands partis de gauche ont progressivement abandonné leur clientèle historique : les gens à plus faibles revenus, les classes populaires, la classe moyenne. Il n’y aura pas de révolution, de lendemains qui chantent, de Grand Soir. La gauche, même radicale, ne renversera pas le capitalisme, elle s’en accommodera. Pour le pouvoir. Elle administrera la pauvreté, malgré certaines envolées marxistes dans les discours. C’est le virage de Mitterrand en 1983, c’est Blair et son New Labor. Électoralement, il fallait remplacer les ouvriers, les classes populaires victimes de la mondialisation qui en viendraient à voter pour d’autres. Une certaine gauche s’est ainsi tournée vers les catégories sociales qui allaient lui apporter ses voix : les femmes, les communautés culturelles, les personnes LGBT, les minorités de genre, les personnes racisées. Par glissement, elles deviennent les opprimées et carburent à l’intersectionnalité, la jonction des luttes.

Ces luttes, qui peuvent certainement être utiles et nécessaires, sont aussi stratégiques. Elles servent de contrepoids aux masses populaires qui iront voter ailleurs. Elles permettent aussi à certains privilégiés de se donner une bonne conscience, une attitude ouverte, sans trop partager leur fortune. Puis, elles désignent aussi des ennemis plus faciles à combattre que le Grand Capital, qui a les moyens de se défendre. Les classes sociales qui se sentent délaissées par cette gauche vont se tourner politiquement et électoralement vers autre chose. La droite (plus au centre ou plus radicale) en profite. Elle parle leur langage, elle parle au plus grand nombre. 

Cette même gauche, mise de côté, en profitera pour crier au populisme, nouveau mot-valise à la mode, employé dans son sens péjoratif dans les médias, auquel on lie nationalisme, xénophobie, extrême-droite. On fait peur dans les chaumières! Vincent Coussedière, philosophe et auteur, spécialiste du concept, prétend que son utilisation fonctionnerait « comme une idéologie paresseuse, par laquelle les élites politiques et intellectuelles cherchent à éviter le défi qui leur est posé : reconstruire une véritable offre politique ». Cette gauche crie au loup après avoir laissé sortir les moutons de la bergerie.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.