AVERTISSEMENT : Dans ce texte, je vais prêcher pour ma paroisse. TOUTE ma paroisse.

Le numérique… sujet au goût du jour. Pas surprenant. La révolution atteint désormais toutes nos organisations! Nouveaux paramètres, nouvelles opportunités; changements dans nos façons de faire et de fonctionner, dans nos façons de penser. Grâce au numérique, on découvre un tout nouvel espace de coopération. Un lieu commun où nous pouvons échanger, partager, faire autrement. « Un monde de possibilités », si rafraichissant dans l’univers un peu gris des compressions budgétaires et de la sacro-sainte efficacité. 

Quand on s’y attarde un peu, on constate rapidement que la révolution numérique provoque des changements de fond. BEAUCOUP de changements de fond. Si plusieurs se réjouissent de cette nouvelle occasion de concevoir en dehors des systèmes traditionnels, les gestionnaires d’organisations, eux, s’arrachent les cheveux. Parce que pour saisir une opportunité, encore faut-il bien la cibler. Or, le numérique change jusqu’à nos paramètres les plus basiques; il faut générer une compétence nouvelle dans toutes nos organisations, et il faut le faire vite parce que le train est loin de ralentir, bien au contraire. 

Mais nos organisations, elles, sont surchargées. Ce n’est pas nouveau, c’est le même mal qui ronge notre société depuis des décennies. Sauf que dans les dernières années, avec tous les changements que nous avons vécus en matière de gouvernance et de concertation régionale, avec la centralisation des pouvoirs (et de plusieurs enveloppes), le transfert de certaines grandes responsabilités vers les municipalités (on leur demande de faire autant avec moins, c’est pas si compliqué), l’implantation de nouveaux modèles de gestion (une petite pensée ici pour nos amis qui travaillent dans le milieu de la santé) et surtout, les coupes budgétaires, certaines assumées et d’autres en dommage collatéral à la suite des nombreuses transitions, le problème de la surcharge s’est accentué. Et ça ne risque pas de s’améliorer avec la pénurie de main-d’œuvre qui nous tombe dessus. 

Dans les organismes, si importants et si actifs pour le bien-être de nos communautés, c’est le financement opérationnel qui a été le plus malmené. Les règles se sont durcies. La paperasse a augmenté et pis encore, elle a entièrement changé; ce qu’on faisait hier ne fonctionne plus aujourd’hui. Les critères d’admissibilité ont été revus, suivant des priorités définies on ne sait où (en tout cas pas ici) et engendrant une importante diminution des revenus de ces organismes qui ont dû, pendant quelques années, puiser à la fontaine de Jouvence de l’ingéniosité pour piloter des revirements rapides, naviguant dans une mer d’institutions en transition ne sachant pas trop elles-mêmes ce qu’elles pouvaient ou non assurer, avec moins de ressources qu’avant pour le faire. Ça vaudrait une médaille d’or en saut périlleux. 

Cependant, il ne faut pas tout voir en noir. Il y a quelque chose de magnifique avec le changement : il fait ressortir la vérité. Plus le changement est grand, plus la vérité est éloquente. 

Y avait-il de l’inefficacité? Oui. De l’argent et du temps dépensés pour rien? Oui. De l’abus? C’est à n’en point douter. Mais maintenant qu’il ne reste que des miettes de notre concertation régionale, on constate bien qu’on viraille comme des poules sans tête, sans focus et sans projet défini. Et ça, c’est beau. Oui, oui, c’est beau! Parce que c’est dans ces moments-là que la créativité s’exprime. Que des rencontres imprévues ont lieu. Que des synergies naturelles se créent. Qu’un leadership spontané naît. Que le choc des idées génère un courant électrique si fort qu’il peut mobiliser une société entière et mettre au jour ses vraies valeurs. L’être humain est une créature sociale qui excelle à inventer des systèmes; on devrait s’en tirer. Maintenant, il faut le faire. 

Et le numérique dans tout ça? Il faut se rappeler que c’est avant tout un outil qui met en relation des données, et surtout des gens. La révolution numérique ne se fait pas seule. Elle ne se fait pas non plus derrière des portes closes. Elle s’incarne dans la société à la hauteur de ce que ses citoyens savent maîtriser. Sans l’acquisition de connaissances, sans la créativité et le talent, elle n’existe tout simplement pas. 

Nous vivons donc une double période de changement et c’est tant mieux; l’un saura certainement aider l’autre. Nous avons la possibilité d’inventer une nouvelle façon de fonctionner, avec des moyens puissants et renouvelés pour le faire. Mais attention : n’exigeons pas l’impossible de nous-mêmes, ce serait un échec assuré. Donnons-nous plutôt le temps d’apprendre. Les moyens d’expérimenter. Le droit à l’erreur. Le goût du risque. Donnons-nous le droit d’essayer, de nous tromper, de recommencer et de nous améliorer. Même si ça prend du temps. Même si ça coûte de l’argent. Ça se fait déjà dans les hautes sphères du développement économique, alors, pourquoi pas à une échelle locale, communautaire? L’autorisation de se planter aurait-elle été brevetée?

Ne laissons pas le privilège de l’innovation uniquement aux entreprises et aux établissements d’enseignement. Les organismes, en raison de leur vocation non lucrative, redonnent tous les fruits de leurs efforts à la collectivité. En plus, ils y sont profondément enracinés, ce qui représente un levier majeur dont il serait peu avisé de se priver. Mais eux aussi doivent se former. Eux aussi doivent de tromper. Eux aussi doivent prendre le temps nécessaire pour communiquer, réfléchir, rêver. On ne peut pas leur demander de donner davantage de ce qui leur manque déjà, c’est évident. Ni leur imposer la totalité du fardeau de la solution. Alors, prenons nos responsabilités, mettons-nous au travail et créons-leur un espace d’action décent, pas infini, mais décent, de façon à ce qu’ils puissent prendre part, avec tout ce qu’ils ont à offrir, à cette grande réécriture de notre société. 

Si le changement fait ressortir la vérité, je souhaite ardemment que la révolution numérique témiscabitibienne démontre notre vraie valeur, qu’elle fasse ressortir ce que nous sommes réellement. Des gens proactifs, fiers, créatifs, généreux et collaborateurs. De véritables bâtisseurs.


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