J’écrivais à un vieil ami que le jour où je cesserais d’écouter des séries américaines à peine potables, que le jour où je ne mettrais plus les pieds dans une grande surface, trop occupé à me gargariser sur Nelligan drapé dans le fleurdelisé, alors là, là seulement, je me permettrais d’accuser les autres de laisser tomber lâchement la culture québécoise ou de ne pas s’y intégrer.

Mais ce n’est pas le cas. La sphère d’influence de la culture américaine continue de s’étendre et nous devons faire avec, inventer de nouvelles manières de nous immiscer dans la machine. Peut-être retrouverons-nous bientôt Nelligan dans une série Netflix?

Bien que l’anéantissement de la francophonie en Amérique n’ait pas eu lieu, la diversité culturelle du monde s’étiole plus rapidement qu’on ne l’avait présagé. Dans les pires temps, lorsque le dernier locuteur d’une langue s’éteint, il n’y a plus personne pour partager le bonheur d’une émotion qui ne se comprenait pas ailleurs, plus personne pour décrire toutes les textures de la neige, le nom ingénieux des plantes, le bruit particulier de l’eau… Et puis le génie humain qui avait mis une éternité à construire une réalité entière, immense et unique, est emporté.

Alors, si demain nous sommes encore un semblant de peuple fier capable d’écrire en français et heureux de célébrer la Saint-Jean-Baptiste sans honte, peut-être pourrons-nous encore demander « tu m’aimes-tu? » dans cinquante ans et saisir l’ampleur d’une telle demande. Peut-être que deux locuteurs pourront encore se frencher en français et qu’ils se parleront du goût de la neige. Peut-être pourrons-nous sauver notre réalité à nous.

Si notre langue et notre culture sont encore vivantes aujourd’hui, c’est qu’il y a aussi eu de bons coups. Voyez, il se trouve encore des gens pour faire de l’art chez nous, dans notre région. Peut-être votre voisine est-elle une artiste! Cet acte de bravoure survient chaque jour et il se diversifie, se réinvente. De plus, il est documenté dans ces pages, par nous, pour nous tous, puis archivé dans nos armoires et nos mémoires. Il existe donc une volonté consciente de glorifier l’identité régionale, celle d’une petite nation des bois, celle de gens qui aiment leur territoire. Bravo à ceux et celles qui tiennent ce petit journal depuis dix ans, avec des miettes de pain.

Ce journal, j’ai vu une dame distinguée le feuilleter dans la file de l’épicerie à Amos, un jeune homme le lire dans un café, à Rouyn. Une lectrice m’a écrit pour me dire combien un texte l’avait bouleversée, un matin d’avril, dépassant mes espérances. Puis je l’ai vu en feu pour chauffer un poêle, près du parc d’Aiguebelle. Et j’ai pensé, tant pis! Qu’il vous serve à chauffer votre foyer ou à rêver, tant qu’il sème en vous l’idée que la culture d’ici est bien vivante.