Il fallait que ça se passe malgré le désagrément public. Le peuple s’est prononcé, sans bronchite. Certains sont tout de même tombés malades. Ils ont mis une main dans l’urne comme on met un pied dans la tombe. Les plus timides ont déposé un mouchoir vide. Un vote blanc. Les autres ont mis un peu de soi qui s’exprime dedans. Doucement, pas fort, pas fort. De la soie disant.

On a beau avoir un avis général sur la meilleure composition, ça nous rend malades de ne pas pouvoir participer un peu plus à l’orchestre. Juste écouter le même morceau devient ennuyant. Et puis, il y a tellement eu de fausses notes cachées… Alors, on donne juste un petit peu de soi pour aider à composer le mucus. On sait déjà qu’on se fera dépouiller à la fin, de toute manière.

On connaît tous le fonctionnement : ce sera l’ensemble des mouchoirs qui va déterminer la composition du mucus, à savoir s’il sera majeur ou mineur, selon si le public est accordé ou pas. Alors que le grand désagrément battait son plein, on avait encore de la difficulté à s’entendre sur la composition qu’on allait jouer. C’est pareil tous les quatre ans. Des semaines avant, le journal essayait de savoir si ce serait plus un mucus conservé ou bien libéré. Et il a commencé à faire des mathématiques tous les matins. Malgré l’abondance de type de mucus, comme le progressiste, le populaire et le commun, il était évident que seulement deux d’entre eux avaient des chances de jouer leur composition au grand jour. D’autres options existent, mais faut croire que les électrons agissent toujours de la même manière, comme si les lois ne pouvaient pas changer. Comme si les choses avaient toujours été comme ça. Comme si les lois de l’univers et les lois des humains étaient les mêmes…

Et puis, il y a beaucoup de chicane avant la révélation du mucus, à cause des partitions et des prédictions, surtout. Les francophones ne veulent pas toujours jouer les partitions des saxophones, et inversement, si bien que certains se sont rassemblés en bloc dans l’espoir de jouer à part un jour. Puis, d’autres veulent un mucus plus vert, parce qu’ils prédisent la fin des temps, à cause du rythme trop rapide. D’autres encore proposent un tout nouveau mucus, qui serait meilleur que l’ancien, ainsi de suite. Le pire, c’est quand un musicien refuse de révéler sa partition au complet. Alors ça, ça me met hors de moi! Comment peut-on vouloir jouer avec lui s’il nous cache ses talents?

Les journaux ont pris la peine de demander à tout le monde s’il n’y avait pas moyen de s’accorder ensemble pour jouer, au cas où le mucus serait très divisé, parce qu’on préfère habituellement jouer en majeur plutôt qu’en mineur. On proposait même une pause pour y penser, avant de jouer. Non, pas moyen! Pas de collation possible. Pas d’ensemble dans l’orchestre! Vous savez comme les musiciens peuvent être difficiles…

Enfin est arrivé le moment de la révélation du mucus. Pendant le dépouillement des mouchoirs, on prend un peu la peine de nous résumer toutes les compositions qui existent. C’est gentil, mais compliqué. Entre ceux qui sont favorables au vieux mucus séché presque fossilisé tellement il est conservé et celui qui serait librement révolutionnaire, il y en a une panoplie. Il était tard. Je me suis endormi avant de savoir ce qu’on allait jouer. Au matin, j’avais l’impression d’avoir déjà entendu la musique.