« Jusqu’ici, j’avais su trouver la force de vivre sans ma fille, mais j’avais maintenant l’impression que, pour y arriver, j’avais dû sacrifier son souvenir. Je me retrouvais devant l’urgence de la sauver d’une seconde mort – l’oubli –, de la garder vivante. » Neuf ans après la perte de sa fille, l’autrice Valérie Carreau a voulu recomposer l’histoire du bref passage au monde de Laurence en replongeant dans ses souvenirs et dans ses journaux intimes. Les premières pages de Nos morts relatent le moment où l’autrice a soudainement senti le besoin de « sauver [Laurence] d’une seconde mort ». Au-delà de la volonté d’ancrer la présence au monde d’un être dont l’existence a été trop brève, ce roman invite à réfléchir à la manière dont on se souvient des êtres chers, des disparus, et de ceux qu’on a à peine eu le temps de connaître.

L’histoire de Laurence est racontée à travers les souvenirs de la narratrice et les extraits de ses carnets. Dans un récit intime et détaillé, on y découvre le bonheur d’une naissance, l’inquiétude devant l’état instable de l’enfant, l’espoir, le sentiment d’impuissance, puis le deuil nécessaire. Avec la mère, le lecteur est invité à ressentir ces émotions vives au rythme du bruit des machines qui maintiennent l’enfant en vie. Les quelques jours d’existence de Laurence semblent flotter hors du temps et n’être rattachés à la réalité que dans leur superposition à des souvenirs antérieurs, dont ceux de la grossesse de la narratrice/autrice. Ce sentiment d’extériorité est d’ailleurs ce qu’évoque un passage où la narratrice relate son refus de porter d’autres vêtements que ceux avec lesquels elle est entrée à l’hôpital, le jour de l’accouchement. Les vêtements incarnent le refus de voir les jours d’une enfant malade s’écouler. « Je devais insister pour que ce temps passé à l’hôpital soit suspendu, à l’écart de ma vie. Ce n’est pas moi qui étais là, c’était une autre. Moi, j’étais ailleurs, quelque part. J’attendais qu’on me rende ma fille. » 

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Dans Nos morts, l’histoire de Laurence s’inscrit dans une profonde réflexion sur la mort, le deuil et le souvenir. Comment se souvient-on des êtres chers? Comment peut-on faire son deuil sans oublier? Pour l’autrice, c’est dans l’écriture que la mort d’un proche – de même que sa propre mort – peut être apprivoisée. « Sans la mort de Laurence, j’aurais quand même écrit – je le faisais avant sa naissance –, mais il y avait, depuis, comme une force invisible qui me faisait toujours revenir à ça, à la mort, dont je ne pouvais m’approcher autrement que par l’écriture. »

D’autres histoires de deuil relatées dans le roman alimentent la réflexion de l’autrice/narratrice sur la mort, mais aussi sur son rapport avec la parentalité : la perte d’une mère, la perte d’un enfant. Raconter ces autres expériences ne fait que mieux ramener la narratrice à sa propre histoire et redonner une existence à un être qui n’en a presque pas eu. Si chaque histoire est différente, le deuil, lui, est universel. Ainsi, chacun pourra reconnaître en cette histoire sincère et émouvante un peu de la sienne.


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