Quatre décennies de peintures réunies dans un livre, Ourse bleue – Piciskanâw mask iskwew, accompagnées de poèmes, une exposition repoussée à l’automne au MA Musée d’art de Rouyn-Noranda et une deuxième exposition, Dialogue 4, regroupant 48 broderies réalisées dans un projet avec une artiste mexicaine. La célébration des 40 ans de carrière de Virginia Pésémapéo Bordeleau se voulait chargée et elle le sera, COVID-19 ou pas.

La directrice littéraire des Éditions du Quartz, qui publie ce livre d’art rétrospectif, s’est montrée plus qu’élogieuse à l’égard de l’artiste : « Elle sait toucher le beau et le grave, elle nous invite à voir plus grand. Son œuvre picturale va dans ce même sens de l’observation du monde qui l’entoure – nature, hommes, femmes, animaux –, elle y pose un regard clairvoyant et bienveillant. En d’autres mots, elle est généreuse, maternelle et embrasse toutes les cultures auxquelles elle appartient », affirme Marie Noëlle Blais.

L’exposition au MA devait se tenir cet été, mais le rendez-vous a été repoussé. « Certaines œuvres se trouvaient à l’extérieur de la région et il devenait complexe, avec la pandémie, de les faire circuler », résume Jean-Jacques Lachapelle, directeur artistique du MA.

Il reconnaît par ailleurs que l’œuvre de Virginia Pésémapéo Bordeleau évolue en phases. « Très figurative dans les années 1980-1990, les toiles deviennent ensuite plus anthropologiques, avec le portrait de sa mère notamment. Ensuite, les figures humaines disparaissent pour présenter des animaux, puis ils cèdent leur place à des aspects beaucoup plus oniriques et à du figuratif qui ressemblent davantage aux rêves qu’à l’abstrait. »

Ce portrait de sa mère a aussi séduit Marie Noëlle Blais. « Les toiles peintes à la fin des années 1980 abordant sa mère, Frances, ainsi que les poèmes qui les accompagnent sont particulièrement bouleversants. Il y a un mélange de mélancolie, de tristesse et d’admiration », précise la directrice littéraire des Éditions du Quartz.

Avec le MA, le cycle d’expositions Dialogues devait aussi se poursuivre avec Dialogue 4, une formule permettant une rencontre par l’entremise de l’art autochtone. Cette fois, il s’agissait d’unir le travail de Virginia Pésémapéo Bordeleau à celui de l’artiste métisse nahuatl de Coatepec, Guillermina Ortega. Des femmes autochtones de Val-d’Or avaient travaillé avec Virginia sur des broderies avec, comme thématique, les violences faites aux femmes. En discutant avec sa consœur mexicaine, Virginia dit avoir été frappée par des similitudes. « Ce qui est étrange, c’est que lorsqu’il est question de la place des femmes, nous sommes plusieurs, dans différents pays, à travailler sur ce thème. On parle de la même chose. Au Mexique c’est pire qu’ici même, mais sur le fond, les préoccupations sont les mêmes », affirme-t-elle.

Devant ce constat, elle avoue un certain sentiment d’impuissance et hésite à formuler un souhait. « C’est tellement vieux comme façon de traiter les femmes, que je n’ose même plus faire des souhaits. J’espère tout de même plus d’affirmation et de confiance pour les femmes. »

UN TALENT PRÉCOCE ET DURABLE

Âgée de 69 ans, Virginia Pésémapéo Bordeleau abordait déjà la peinture aux âges de 11 et 12 ans. « Le directeur de l’école a même voulu acheter une de mes peintures. À l’époque, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais être peintre », se souvient-elle.

Née d’une mère crie et d’un père métis, l’artiste porte et assume ses racines qui se reflètent d’ailleurs dans sa création. Dans son livre rétrospectif sur sa carrière, ce sont ses œuvres qui s’expriment par des poèmes explicatifs de son cru.

UNE ANNÉE REMPLIE

L’année 2020 sera marquante. Outre ces regards posés sur son travail mis en valeur dans le livre L’ourse bleue et les expositions du MA, Virginia s’est vue remettre le prix de l’Artiste de l’année par le Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue. Une autre reconnaissance qu’elle a toutefois dû recevoir dans une certaine intimité, faute de pouvoir célébrer avec d’autres. 

Qu’à cela ne tienne, Virginia ne s’en laisse pas imposer par la pandémie : « Je suis inquiète un peu, comme tout le monde. Une anxiété qui ne nous empêche pas de vivre. »

Elle raconte que certains soirs, avec son compagnon de vie, elle s’endimanche et s’adonne à de petites mises en scène pour garder le moral bien vivant. « Leonard Cohen est un poète que j’ai toujours aimé et quand j’ai rencontré Michel, les premières chansons qu’on a écoutées ensemble étaient de lui. On se fait des soirées comme si on sortait. On se fait un bon souper, on se prépare, on s’habille bien et on danse sur du Cohen », confie-t-elle, confirmant du même coup un trait de résilience bien personnel, refusant de se laisser abattre par le marasme ambiant.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.