Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtone de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Suzy Basile est à la tête d’un chantier à la fois vaste et lourd. Les angles de recherche ne manquent pas, tout comme les traces d’un passé qui a laissé des sillages lourds et profonds dans la destinée des femmes autochtones. « Les femmes autochtones ont été écartées de toutes les sphères les concernant depuis l’établissement d’un État colonial au Canada », commence-t-elle.

Par la force des lois et de diverses politiques, dont ont fait foi d’ailleurs les commissions d’enquêtes récentes, les femmes ont été écartées de la vie publique, résume la professeure Basile. Cela inclut la vie politique, ce qui comprend aussi la direction de leurs propres communautés. « Jusqu’en 1951, il leur était interdit de participer à tout rassemblement public, de se présenter aux élections et d’y voter. Cela laisse des traces indélébiles dans le parcours de vie des femmes autochtones », assure Suzy Basile.

Même si la Loi sur les Indiens a été modifiée, il a fallu attendre 1977 pour voir une première femme autochtone être élue conseillère. « Au lendemain de la modification de la Loi sur les Indiens, les femmes ne se sont pas précipitées en politique. Il a fallu plusieurs décennies pour que certaines d’entre elles se manifestent. Il y a eu un décalage entre la possibilité de le faire et la concrétisation de le faire », illustre Suzy Basile.

SAGES-FEMMES ET VIOLENCES INTIMES

Une partie du savoir des femmes n’a pu être transmis, là encore en raison de décisions politiques. Pour Suzy Basile, une partie du savoir a été compromis parce qu’il était impossible de le faire. Elle cite ici les pensionnats autochtones. « Ces femmes ont vu de leur premier à leur dernier enfant partir de manière forcée. Parfois sous la contrainte ou la menace. La transmission d’un savoir exceptionnel a été compromise, notamment en ce qui concerne la pratique des sages-femmes. »

Ironiquement, alors que plusieurs femmes, autochtones ou non, demandent la création de maisons de naissance et davantage de sages-femmes, la pratique des femmes autochtones a été écartée, voire interrompue. La Chaire de l’UQAT s’intéresse d’ailleurs aux questions relatives aux accouchements. « À partir des années 1970, les femmes autochtones ont cessé d’accoucher chez elles ou dans la communauté avec des sages-femmes et ont été redirigées vers le réseau de santé du Québec. Elles se sont retrouvées en milieux hospitaliers, parfois seules, loin de chez elle, souvent dans une autre langue que la leur. Elles ont commencé à donner naissance à leurs enfants de manière très différentes de ce qu’elles avaient appris », a expliqué Suzy Basile. « Nous sommes à documenter les témoignages des dernières femmes qui ont connu cette époque-là, qui ont connu la transition vers le système de santé. ».

Ces témoignages pourraient également ouvrir la porte à une autre réalité, plus sombre celle-là, celles des violences obstétricales et de la stérilisation forcée de plusieurs femmes autochtones. « Des données existent sur ces pratiques ailleurs au Canada, nous souhaitons obtenir un portrait de la situation ici au Québec », conclut Mme Basile.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.