François Tanguay est né à La Sarre, en 1993. Il a passé sa prime jeunesse à St-vital-de-Clermont et à Amos. De ces années, il conserve une multitude de souvenirs très agréables. Il demeure maintenant à Trois-Rivières, mais revient régulièrement dans la région pour rendre visite aux membres de sa famille. Il garde un profond attachement envers la région. 

À l’automne 2019, après un long séjour dans l’Arctique canadien, il a ressenti le vif besoin d’écrire au sujet de la région pour se sentir plus proche d’elle et exprimer sa reconnaissance envers son héritage. Il partage avec nous son poème La vieille louve. 

Y’a une terre où y fait assez frette en hiver pour que s’y gèle le temps


On la nomme Abitibi, nom gossé à même les épinettes noires pis les lacs de glaise


Plantée d’l’autre bord du grand La Vérendrye, elle se campe en retrait


Fidèle à elle-même, comme une vieille louve.

Des premières gelées jusqu’aux floraisons de mai


Les gens s’y chauffent de tremble pis d’bouleau


Quand l’Abitibi s’attrique de neige pis d’glace


L’haleine de nos poêles vient lui frôler le ventre


Puis s’amorce « l’hiver dans l’hiver »


On s’obstine pis on tient l’fort


On prend l’vent du nord à bras l’corps

Quand l’hiver tempère enfin, on s’élance sur les lacs blancs


L’attirail de pêche fin prêt, la cabane attelée sua motoneige


Enwoye! Quelqu’coups d’tarière dans la croûte du lac


Les brimbales à l’eau pis c’pas long qu’le brochet mord 


En famille, entre amis, c’est comme ça en Abitibi!

En mai, les lacs calent pis l’Abitibi escoue sa neige


Tout s’ravigote sul territoire pis les arbres boivent la terre


L’doré vient frayer sur les rivages dès l’retrait des bordages


Pis l’carouge r’trouve les joncs des rivières qui s’attardent sous les ponts


L’Harricana s’gonfle d’orgueil pis abreuve l’Eeyou Istchee, telle une mère.

En Août, l’été vient y offrir ses plus douces caresses


On prend nos casseaux pis on va aux bleuets dins brûlis


L’soir venu, l’hirondelle rentre chez elle pour laisser l’silence se vautrer


Dans des senteurs de lac pis d’terre trempée


Y’a rien d’mieux pour s’reposer l’esprit, c’est moé qui vous l’dis!

Vient l’temps où l’Abitibi s’effeuille, prélude des chasses généreuses


On prend les rangs qui mènent aux confins du monde


Pour s’enfoncer dans c’qui a d’plus sauvage


Dins sous-bois, la gelée s’effrite sous nos semelles


On fait une attisée dans l’camp


En rêvassant d’la « bête lumineuse1 » pour laquelle on s’ingénie.

C’est dins branchages d’l’Abitibi que viennent s’jouquer les aurores boréales du Grand Nord


Aux mêmes branches, on y débusque des mots


Qui, une fois aboutés, nous parlent d’hommes pis d’femmes enracinés


Les choses qui s’perdent ailleurs, icitte nous sautent aux yeux


La Vieille Louve a une sagesse primitive, pis on en fait grand cas!

L’Abitibi c’t’un pays encore neuf


Avec des pousses de rêve pis d’espoir dans ses labours


Comme des rémanences de l’ardeur des pionniers pis des pionnières


Qui ont vécu l’arrachement


Pis qui se sont mesurés à une Terra Incognita


Pour s’appartenir pour de bon!

Nos aïeux ont rêvé l’Abitibi


Nos aïeux ont sué l’Abitibi


Nos aïeux ont aimé l’Abitibi 


Nos aïeux reposent au cœur d’l’Abitibi


Nos aïeux nous ont légué l’Abitibi!

Être Abitibien, c’t’un mode de vie


L’Abitibi nous sort jamais vraiment du corps


Être Abitibien, c’est d’incarner la Vieille Louve.

1. Perrault, Pierre, La bête lumineuse (ONF, 127 minutes 18 secondes, 1982)