Je regrette de ne pas avoir rencontré Jacques Baril en personne pour cette entrevue. Je le connaissais seulement de nom, à travers son travail de sculpteur. Mais c’est un homme que j’aurais beaucoup de plaisir à côtoyer. Je le trouve drôle, attachant, généreux. Je le trouve aussi tendre même lorsqu’il pousse un coup de gueule. Très peu de personnes savent être tendres dans de pareilles situations.

Le questionnaire

F. A: Pour toi, c’est quoi le confinement?

J. B: Retour vers le futur sur une planche de surf dans le sable jaune en remontant une dune et s’attendre à sauter dans le vide lorsqu’on aura atteint le sommet. Et tout ça au ralenti. En d’autres termes, aller à contrecourant dans un environnement impossible pour faire des gestes inconcevables et s’attendre au pire pour le mieux dans un temps qui s’égrène au compte-goutte.

F. A: As-tu l’impression d’avoir réussi ton confinement?

J. B: Non! Pas pantoute! Je suis meilleur quand je n’ai pas le temps de penser. Là, j’avais tout le temps de penser et finalement toutes mes machines cassaient, alors j’ai passé mon temps à réparer des trucs sans pouvoir acheter les pièces manquantes ou brisées ou en n’ayant pas les outils appropriés pour faire le job. Je crée dans l’urgence. Alors pas d’urgence, panne de créativité.

F. A: C’est quoi une journée réussie pour toi en période de confinement?

J. B: Même sans confinement, je n’ai pas souvent de journée réussie parce que je fais des to do list impossibles à réaliser. Mais une journée réussie, c’est quand même lorsque je peux faire la différence dans la vie de quelqu’un d’autre.

F. A: Une chose que tu ne peux plus faire depuis le confinement mais que tu as hâte de pouvoir refaire?

J. B: Embrasser mes amis chaleureusement.

F. A: Tu travailles beaucoup avec des matériaux de récupération. Y-a-t-il quelque chose à récupérer dans cette crise sanitaire que nous sommes en train de vivre?

J. B: J’utilise la récupération parce que les pièces récupérées sont chargées d’Histoire et d’histoires et que j’essaie d’y insérer la mienne. La pandémie ou le confinement pour moi, c’est plus une question temporelle que spatiale. Je l’ai vécu comme une pendule qui a perdu son temps et qui ralentit pour le retrouver. Hier, j’ai arraché tout le devant d’une voiture déjà en piteux état avec mon camion. En fait, je n’ai pratiquement rien senti. Même pas une égratignure sur mon camion! Mais l’autre avait tout le bumper, la lumière, etc. à terre devant le véhicule. Le gars, qui était avec sa femme sud-américaine et son bébé, m’a dit que ça ne vaudrait pas la peine de la réparer et que finalement il allait peut-être l’envoyer à la casse. Tu vois, il y a toute une histoire à raconter dans ce « bumper » au sol. Je ne sais pas encore combien ça va me coûter, cette histoire-là. Finalement, après avoir brisé mes propres machines, je brise celle des autres.


 


F. A: Quelque chose que tu as appris depuis le confinement?

J. B: Que le monde est rempli de cons qui veulent croire que d’autres patentent des trucs pour les emmerder. J’adore les perdrix mais pas dans mon assiette.

F. A: Une lecture, un film ou une chanson pour personnes confinées?

J. B: “Human” de Yan Arthus-Bertrand.


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