Au début mai, à la suite de l’élection d’un gouvernement Conservateur majoritaire, un débat a enflammé les médias et les plateformes web québécoises. L’origine de tout ce brouhaha: un court texte de la chroniqueuse Nathalie Elgrably-Lévy publié dans le Journal de Montréal, dans lequel elle affirmait s’opposer au mécénat des instances publiques en matière d’art et de culture. Cette position va à l’encontre de maints consensus établis en Abitibi-Témiscamingue.

Au nom de la raison, l’économiste qu’elle est propose que le gouvernement cesse de maintenir en vie artificiellement la pratique artistique de nombreux artistes via les programmes de subventions, parce qu’après tout, « à l’instar du reste de la population, ils [les artistes] ont la responsabilité de choisir une carrière qui leur permette de subvenir à leurs besoins ». Elle ajoute du même souffle qu’elle en a marre de voir des artistes sans talent vivre aux crochets des subventions, parce qu’on le sait tous, les artistes talentueux n’ont pas besoin de ça, eux!

Les détracteurs de Mme Elgrably-Lévy ont rapidement fait entendre leur réplique par médias interposés (La Presse, Voir, L’actualité…). On lui a reproché son étroitesse d’esprit, la faiblesse de son argumentation et le peu de connaissance qu’elle a du milieu artistique. Citant à l’appui de belles réussites des programmes de subventions gouvernementales (Cirque du Soleil, TVA, la Grande bibliothèque, Ubisoft, le Festival Juste pour rire…), d’autres ont par la suite étayé l’apport social et économique de la culture au pays, faisant remarquer au passage que plusieurs autres secteurs d’activités (l’industrie automobile, le sport amateur et professionnel, l’industrie pharmaceutique…) ont aussi bénéficié des largesses économiques des gouvernements.

La grande faiblesse de l’argumentation de Mme Elgrably-Lévy, outre son intransigeance, réside dans le fait qu’elle prétend que si un artiste ne peut pas vivre de sa création artistique, c’est que ce qu’il fait n’a pas de valeur et que personne n’en veut. C’est Vincent Van Gogh qui doit se retourner dans sa tombe, lui qui n’aurait vendu aucune toile de son vivant ! Certains planificateurs financiers prétendent pourtant que l’un des investissements les plus sûrs pour un particulier est le marché de l’art, puisque les œuvres prennent quasi systématiquement de la valeur avec le temps, comme un bon vin qui vieillit dans son fût. Mais le savoir-faire de l’artiste – comme celui du vigneron – s’améliore par la pratique et le développement, ce qui demande temps… et argent!

Se conformer aux programmes gouvernementaux représente un travail laborieux pour bien des organismes et artistes, qui doivent fournir tous les rapports requis et répondre à toutes les exigences, mais il en va de la qualité de vie et de la puissance de notre identité culturelle. Et si le Québec (voire la région) fait bonne figure sur la scène internationale, c’est entre autres parce que les gouvernements n’ont pas eu peur d’investir dans cette industrie créative.

Facteur de développement

On pourrait croire qu’en 2011, l’utilité de l’art et de la vie dite culturelle n’est plus à prouver ; la sortie de Nathalie Elgrably-Lévy prouve qu’il y a encore des gens à convaincre. L’artiste en arts visuels Martine Savard, dans la chronique Parole d’artiste que vous trouverez en ces pages, explique de façon claire et puissante le rôle que jouent les créateurs dans la société : celui d’explorateurs des possibles, de colonisateurs de conscience. Un autre texte de la présente édition – sur les liens qui se tissent entre les milieux touristique et culturel en Abitibi-Témiscamingue – met de l’avant les impacts financiers et identitaires qui découlent de la vigueur de la vie culturelle. Aussi, une étude menée par Valorisation Abitibi-Témiscamingue démontre que la culture représente un facteur d’attraction et de rétention de la population non-négligeable. J’ajouterais enfin que les organismes culturels de notre région sont une véritable pépinière de leaders, de nombreux jeunes s’y faisant les dents avant de transposer les compétences acquises en organisation dans leur travail, dans leurs autres implications, voire dans la vie politique régionale.

Qui sait si en diminuant – ou en coupant drastiquement – le financement de la culture, on ne laissera pas le champ libre aux grosses machines commerciales, au divertissement sans âme et sans saveur, aux valeurs sûres, comme un triomphe du calcul et de la rentabilité sur l’imagination et la quête de sens ?

Et le mécénat privé dans tout ça?

Là où Mme Elgrably-Lévy n’a pas tort, c’est quand elle laisse entendre que le secteur privé a un rôle à jouer pour soutenir la culture : son apport à la culture est tout aussi important que celui des gouvernements… quoique souvent difficile à attacher et empreint de nombreuses conditions, car si une compagnie quelconque investit dans un festival, c’est pour, entre autres, en recevoir des bénéfices par la bande. Mais là réside peut-être la solution pour augmenter le soutien aux artistes et aux événements culturels sans solliciter l’État davantage. Par exemple, certaines grandes entreprises achètent des œuvres d’art – et les droits de reproduction – afin de les offrir en cadeau à leurs employés, actionnaires et autres fournisseurs. Il existe mille et une façons de conclure des alliances entre le milieu des arts et celui des affaires, et de faire en sorte que tous deux en tirent le maximum de bénéfices sans pénaliser l’autre.

Malheureusement, les centres de décision, en ce qui concerne les grandes entreprises, ont tendance à s’éloigner de la région : les commandites que l’on obtenait jadis dans un 5 à 7, en serrant quelques mains ou en activant son réseau de contacts, sont de plus en plus rares. Et cette situation est à déplorer – non seulement pour son impact sur la vie culturelle, mais aussi sur la vitalité sociale et économique de la région. Ça, c’est le genre de choses dont devrait traiter Mme Elgrably-Lévy…


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