État de marche, état de veille, état d’apesanteur, état de choc, état solide, état d’opposition, cheffe d’état. Les femmes sont véritablement passées par tous les états au cours de l’histoire. Elles ont marché, veillé, elles ont dû sortir de leurs cocons, prouver leur force, s’opposer, tout ça afin d’obtenir une « certaine égalité ».


Robertine Barry, une des premières femmes canadiennes-françaises journaliste, chroniqueuse au journal La Patrie de Montréal écrivait, en 1895, dans une chronique portant sur l’accès des femmes à l’université : « Patience, pourtant, cela viendra. Je rêve mieux encore, je rêve, tout bas, que les générations futures voient un jour, dans ce XXe siècle qu’on a déjà nommé “le siècle de la femme”, qu’elles voient, dis-je, des chaires universitaires occupées par des femmes. »


Il fallait être vraiment visionnaire pour y croire. Quand on pense qu’en 1866, un Code civil était adopté, assimilant pratiquement les femmes mariées aux enfants. Elles doivent obéissance à leur mari et prendre sa nationalité. Elles ne peuvent être seules tutrices de leurs propres enfants, se défendre ou intenter une action ou recevoir un héritage. Elles n’ont pas droit au salaire que peut leur procurer leur propre travail. En lisant ceci, on ne peut que constater le chemin parcouru. Quand on apprend qu’en 1936, une femme, Dorothea Palmer, est arrêtée à Vanier et accusée en vertu du Code criminel qui interdit toute promotion et vente de matériel contraceptif, force est d’admettre également que les mœurs ont mis du temps à évoluer.


Depuis 1992, octobre a été décrété comme étant le mois des femmes ayant marqué l’histoire canadienne. Ce mois comporte une date importante pour les femmes. En effet, le 18 octobre 1929, il y a 83 ans, les femmes gagnaient leur cause et pouvaient être considérées comme des « personnes » au sens de la loi. L’instigatrice de cette cause célèbre connue sous le nom de l’affaire « Personnes », Emily G. Murphy, était une écrivaine. Ma grand-mère maternelle, décédée l’hiver dernier à l’âge de 90 ans, a donc été une non-personne pendant les huit premières années de sa vie. Quant à mon arrière-grand-mère, à la naissance de ma grand-mère, elle n’avait pas le droit de voter. Ce privilège a été redonné aux Québécoises (on le leur avait soutiré en 1849) le 25 avril 1940, grâce à la ténacité de plusieurs militantes dont l’extraordinaire Thérèse Casgrain (à qui les Québécoises doivent aussi de recevoir des allocations familiales) alors que toutes les Canadiennes pouvaient voter depuis 1921 (19 ans plus tôt). On pourrait continuer à énumérer moult batailles engagées et remportées par les femmes, lesquelles ont amené la création du Conseil du statut de la femme en 1973 (il y aura 40 ans l’an prochain). La liste serait fort impressionnante, tout comme le nombre d’obstacles rencontrés en cours de route.


Les politiciens, appuyés par le clergé, ont longtemps tenté de stopper la marche des femmes vers leur liberté. D’ailleurs, pendant longtemps, la religion catholique constituera un frein puissant à la participation des femmes québécoises francophones à la collectivité comparativement aux anglophones. Ève n’était-elle pas en effet responsable de la déchéance d’Adam et de tous les maux affligeants la Terre?


Ainsi, n’eut été de ces pionnières persévérantes dans leur entêtement, Pauline Marois n’aurait jamais pu, elle non plus, écrire une page d’histoire et devenir la première femme première ministre du Québec le 4 septembre dernier.


Si elles ont dû se débattre comme de beaux diables dans l’eau bénite pour avoir accès elles aussi au pouvoir, si elles ont revendiqué leurs droits dans différentes sphères d’activités, les femmes ont dû apprendre également à faire leur place dans le monde culturel aussi étonnant que ça puisse paraître. Les femmes artistes n’ont été, dans l’histoire de l’art moderne, que très peu visibles. Les arts visuels notamment étaient la chasse gardée des hommes. C’est leur forte personnalité qui a permis à des femmes telles la sculpteure Sylvia Daoust et la célèbre peintre Emily Carr de s’y tailler une place. Par ailleurs, celles qui obtiennent une réputation sont presque toujours célibataires, signe qu’il est difficile de conjuguer vie familiale et pratique d’un art.


Et, bien que des quinze signataires du Refus global en 1948, sept étaient des femmes, Paul-Émile Borduas n’était pas chaud à l’idée de les faire participer à son manifeste par crainte de les voir mises au ban de la société québécoise. Selon l’artiste peintre Marcelle Ferron, le rôle des femmes engagées auprès de Borduas s’était limité à contresigner le manifeste. « Nous n’avions pas participé à la rédaction du texte, mais nous partagions les idées qu’il véhiculait » écrit-elle dans L’Esquisse d’une mémoire (Les Intouchables, 1996). « Le féminisme et le syndicalisme prenaient de l’ampleur. Et nous avions aussi notre place à prendre. » Auteure de l’ouvrage Les Femmes du Refus global (1998), Patricia Smart estime que les femmes artistes, gravitant autour du mouvement automatiste dans les années 1940, ont bénéficié d’une égalité avec les hommes sans précédent dans l’histoire de l’art au Québec.


Pour le mois d’octobre, saluons le courage des premières femmes québécoises qui ont défié la «loi du cadenas» (avril 1937), ont participé pour la première fois à un congrès de parti (juin 1938), ont organisé une marche contre la pauvreté (Du pain et des roses, mai 1995) et se sont envolées dans l’espace (27 mai 1999).


Sans oublier celles qui ont essuyé la folie humaine à l’occasion de la tuerie de la Polytechnique, le 6 décembre 1989, événement qui rappelle combien est fragile notre position dans la société et que les progrès accomplis dans le temps ne plaisent pas nécessairement à tous.


Surtout, prenons le temps de nous réapproprier notre histoire et de la raconter à nos filles et à nos fils!


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