Un soir d’hiver alors que nous roulions très lentement sur une route 117 glacée, j’écoutais une émission intelligente sur les ondes de la radio publique. Un écrivain y était invité pour parler de son nouveau roman. L’animateur, bien renseigné, le confronte soudain avec des questions compromettantes sur ses activités paralittéraires politiques très à droite. L’auteur répond, argumente, l’animateur le relance. Je suis mal à l’aise.

Mais pourquoi ce malaise? Je réalise que mon sentiment a peut-être quelque chose de culturel. J’émets l’hypothèse suivante: nous ne sommes pas habitués, ici au Québec, aux débats intellectuels. Les divergences d’opinion sont souvent lissées et couvertes de bons sentiments, mais on ne veut pas confronter son prochain avec nos idées différentes. Plutôt se taire. Ou gueuler, griffer, cracher, comme s’il n’y avait pas d’équilibre possible et que le fait de penser différemment du voisin engendrait nécessairement de l’animosité. On n’a qu’à circuler sur les médias sociaux pour constater le niveau de la plupart des arguments pour ou contre la charte pour se rendre compte de notre difficulté à prendre la parole de façon constructive.

Encore dans plusieurs pays, des gens sont emprisonnés, voire même torturés ou exécutés ou pire en raison de leurs opinions politiques ou de leur orientation sexuelle. Je nous considère donc comme chanceux d’être libres, ici, de pouvoir nous exprimer librement en toute sécurité.

Où je veux en venir sur ce terrain glissant? Je trouve que la liberté de parole est un outil précieux, puissant. Précieux d’une part parce qu’il n’est pas encore donné à tous, mais aussi parce qu’il permet un espace d’échange. Puissant parce qu’il permet de nous affirmer. Mais s’affirmer comment, et pourquoi? Là est la question qu’on devrait se poser. L’espace public est saturé de prises de positions agressives et stériles. Peut-être est-ce un nouveau genre de débat que permet l’anonymat et le décalage des multiples écrans? Ou est-ce plutôt l’envers de la médaille de la liberté d’expression? Être libre ne devrait pas signifier que nous devrions dire n’importe quoi, n’importe comment.

En faisant le portrait de Pierre Labrèche, je me dis qu’on a là un bel exemple d’une parole qui sert à construire. Construire des ponts entre les voisins qui se connaissent peu, entre les générations qui se méprennent parfois les unes aux sujets des autres. C’est que l’art de la parole est aussi celui qui permet une meilleure compréhension de l’autre, à condition qu’au bout  de la parole, il y ait une oreille pour écouter.

Alors je souhaite (tiens, voici mes vœux pour 2014) que chaque citoyen prenne conscience de la portée de ses mots, que chacun trouve écho à sa voix comme il trouve sa place dans la communauté. Je souhaite à chacun la capacité d’écouter et d’entendre l’autre, avec ses horizons nouveaux et multicolores, et d’en faire une source d’émerveillement, de questionnement, de réflexion. Parce qu’une parole multiple permet une démocratie en santé.

Sur ma rue vit Eugene, un anglophone. Il y a aussi Mohammed et Fatoumata, à quatre portes de l’autre côté. Et Maude, Daniel, France, Stéphane. Quel Dieu prient-ils, s’il en prient un? Aucune idée. Pour qui votent-ils? Aucune idée. Ils sont des voisins que j’aime parce qu’ils contribuent à enrichir mon univers par leur unicité. Quel besoin devrais-je avoir qu’ils soient en tous points pareils à moi? Même mes enfants ne le sont pas!


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