Difficile mandat de résumer Jeffrey Papatie en une seule page. Il est Algonquin, des clans du loup et de la tortue. On dirait qu’il n’a pas d’âge; seuls de petits sillons au coin des yeux témoignent de son parcours. Il a commencé à danser à l’âge de 12 ans, lors d’une célébration au Lac Simon. Malgré sa forte filiation avec la tradition, c’est un homme de son temps. Ouvrier sur la construction, plus précisément menuisier, il est aussi un fan de hockey et un grand voyageur, grand-père, philosophe, communicateur mais surtout un danseur reconnu. Je l’ai rencontré à Louvicourt entre une journée de travail et un match Montréal/Boston.

Quand on ne voit de lui que des photos, Jeffrey Papatie apparaît dans toute sa splendeur, arborant fièrement ses tresses, qu’il n’a pas coupées depuis plus de cinq ans. Une histoire poignante se cache pourtant derrière ce masque de guerrier, dont les combats ont été nombreux : l’alcool, la drogue, la violence, le racisme, la colère.

Le jour où son petit-fils Miles a survécu à une opération à cœur ouvert, Jeffrey a choisi de se relever. Depuis, il a recommencé à danser et laisse sa longue chevelure témoigner de son engagement à rester sobre. Il marche maintenant la tête haute, engagé avec ferveur dans sa mission qui consiste à faire du bien aux autres.

Pourquoi il danse? « Je fais ça d’abord pour moi-même, pour me sentir mieux à l’intérieur. Et plus on donne d’énergie quand on danse, plus on crie. Comme un guerrier. Guerrier, ça ne veut pas dire aller se battre. Ça veut dire faire appel à notre courage. Quand on crie, ça fait sortir la boule qu’on a à l’intérieur », explique Jeffrey. Mais la danse n’est pas bénéfique que pour le danseur. « Ceux qui regardent aussi, ça les touche. Certains sont souffrants, d’autres ont oublié leur identité et quand on danse, on les aide, en leur donnant notre énergie, à retrouver qui ils sont. »

Alors que pour les non-autochtones la danse est une manifestation artistique, pour les autochtones, elle fait partie de la culture dans son sens large, celui qui englobe à la fois le mode de vie, la spiritualité, la langue, les coutumes et l’artisanat. La danse, accompagnée par le chant du tambour, devient une sorte de communion. « Je ne me considère pas comme un artiste, dans ce que je fais. Quand je monte sur le stage, je ne suis qu’un modèle anishnabe, je veux montrer qu’on existe toujours », précise Jeffrey Papatie avec humilité.

Les rassemblements sont des lieux importants de transmission culturelle pour les autochtones. Jeffrey raconte : « Quand je danse dans les pow-wow, je crie fort et je dis aux autres danseurs : Criez, sortez ça, là, mettez de l’amour! Même des petits danseurs de 5 ans, je les fais crier, ils sont cutes à voir. Ils me suivent dans la tradition. Ce sont des enseignements qu’on se donne dans les pow-wow. » 

Et le costume? « Les costumes, c’est pour l’Halloween! » lance le danseur en riant. « Ce qu’on porte quand on danse, on appelle ça un regalia.» Ceux de Jeffrey sont colorés et abondamment ornés. « Les couleurs que je porte et que j’aime beaucoup, je les vois d’abord dans mes rêves », explique-t-il. Et comme pour marquer l’importance du danseur, son regalia évolue au fil du temps, des rencontres et des offrandes reçues.  « Quand j’ai commencé à danser, j’avais juste deux plumes sur la tête. Au fur et à mesure des années, je recevais des cadeaux de la part d’autres danseurs : des plumes d’aigles, des bâtons, des mocassins », raconte Jeffrey.

L’utilisation des couleurs est largement symbolique. « Dans le maquillage, le rouge c’est pour nous protéger et nous donner du courage. Avant, les hommes mettaient ça pour aller à la guerre ou pour chasser. Ils mettaient aussi sur leur visage le sang de la bête, comme pour la remercier, avec la Mère-Terre et le créateur, et remercier le sacrifice de l’animal pour qu’on puisse manger. »

Pour avoir l’occasion de le voir danser, préparez-vous à voyager! Sept-Îles, Roberval, chez les Innus ou chez les Cris, Jeffrey Papatie est invité partout. Il sera même du grand défilé de la St-Jean-Baptiste le 24 juin à Montréal. Le reste du temps, il donne des ateliers et va à la rencontre des jeunes à travers le Québec. « Des fois je regarde même pas mon agenda! Je voyage tout le temps! » rigole-t-il.

« J’aime beaucoup partager mon vécu. J’utilise mes expériences pour aider les gens, même ceux qui touchent le fond. Je veux donner de l’espoir aux jeunes. C’est ça que je fais aujourd’hui. Je leur donne des plumes d’aigle, pour leur souhaiter la bienvenue dans le cercle. Les plumes, ça ne s’achète pas. Ça se donne, ça se mérite », explique Jeffrey avec émotion.

Malgré son allure fière et son grand magnétisme, quand on le rencontre en chair et en os, on découvre un homme à la vulnérabilité palpable. C’est étrangement ce qui lui donne sa force. Les lourds défis qui la vie lui a envoyés, il les accepte du mieux qu’il peut et continuera de danser tant que sa foi le portera.


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