Dans une prison de verre

Denys Chabot

Nous voici en présence d’un roman écrit conjointement, à quatre mains comme on dit volontiers. Il est d’Isabel Vaillancourt et de Jaquy Lamps, deux auteures de la région. La première s’est fait connaître par un recueil de poèmes d’une grande virtuosité, Madame de Siam, que tous les amoureux des félins se doivent d’avoir lu. Ses romans, qui ont souvent l’enfance comme toile de fond, sont traversés par de puissantes charges émotives. Pensons ici à ce récit stupéfiant de vérité : Les enfants Beaudet. La seconde, également dotée d’une plume aguerrie, a écrit des nouvelles et des poèmes, publiés ici et là dans des ouvrages collectifs, ainsi qu’une pièce de théâtre à forte incidence sociale, qui fut présentée sur les scènes de la région et pour laquelle elle a d’ailleurs mérité un prix littéraire. 

Si l’on s’en tient à son titre, leur roman intitulé Comme une mouche dans le bocal devrait nous annoncer une thématique d’enfermement, de confinement, de suffocation tant physique que psychique. Or, c’est bien le cas; le titre ne nous leurre pas. L’histoire commence en pleine mer, où apparaît un dénommé Raymond, un amnésique ballotté sur un radeau de bambou. Par la suite, les événements se multiplient, les lieux se diversifient (du Québec à la Thaïlande en passant par la France). Dans un moment de lucidité, de remémoration, Raymond se découvre un frère jumeau identique, Raynald, qu’un accident de la route a confiné au sort de grand brûlé, et il s’élancera à la poursuite de son semblable. Une histoire à niveaux multiples, aux voix entremêlées, si bien que l’on pourrait craindre que les repères un à un se perdent, qu’une certaine confusion s’installe, que les contradictions s’avèrent insurmontables, que le flou y soit sans issue, tant les identités y ont tendance à se liquéfier.

Mais non, tous les fils peu à peu se démêlent et on s’étonne de découvrir un univers somme toute cohérent. S’il y a délire, il est fort bien organisé, fonctionnel si l’on peut dire. Il y est en outre question d’actions menées par des « entités étonnantes » : manipulation cervicale, accaparement de la mémoire, fabrication d’un prototype humain destiné à se démultiplier. Un monde tout à fait inquiétant, peut-être prémonitoire, heureusement traversé par les enchantements que procure la grande musique.

  

Un roman effervescent et éclaté, qui par ailleurs ne se laisse pas résumer aisément, en plus d’être parfois assez déroutant, d’une complexité confinant au baroque, presque au rococo. Disons, pour faire vite, que le lecteur est témoin d’une quête multiforme, sous l’emprise d’un Big Brother réinventé, assez accablant du reste. Si la valeur d’un roman tient d’abord à son unité de ton et à la qualité de son style, alors il est indéniable que nous voilà en présence d’une réussite, d’autant plus éclatante que le défi posé par une écriture à quatre mains, à double imaginaire, était redoutable.  

 

Comme une mouche dans le bocal

Éditions de la Paix, 2014, 18,95 $


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