J’en ai assez de ces lieux communs qui polluent les débats politiques, qui veulent tout dire et son contraire : « le vrai monde », « le monde ordinaire », le « gros bon sens ». En ce printemps houleux, qui a vu le Québec se diviser – à défaut de se séparer –, on a entendu un autre de ces termes creux, qui représenterait l’appui légitime de tout le programme de démantèlement de l’État québécois par les Libéraux. C’est la fameuse « majorité silencieuse ».

Cet argument est évoqué par le premier ministre, son cabinet, les commentateurs de tous genres et une partie du public. Cette majorité n’est en fait pas trop silencieuse! Mais on reste pantois. Est-ce à dire que ceux qui ne disent rien sur la situation sont d’accord et consentants? Ou plutôt que ceux qui font du bruit, manifestent, crient, grèvent, ne sont pas la majorité? On s’y mêle…

Malgré tout, s’il existe une majorité, et qu’elle se fait silencieuse, eh bien, ça reste son problème. Qu’elle cesse de mépriser ceux qui s’organisent et prennent position. Qu’elle cesse de cracher sur les groupes communautaires, les syndicats ou les écolos. En 2015, avec Internet et tous ses réseaux, rester silencieux, c’est un choix. Tout le monde travaille, tout le monde étudie, tout le monde a des enfants et des loisirs, ce n’est pas exclusif aux silencieux. Comme s’ils étaient les seuls à travailler fort et payer des taxes. Se taire, dans son coin, c’est une décision. Si les priorités sont de faire le gazon, courir les spéciaux chez Costco et profiter du beau temps sur une terrasse, il est vrai qu’il reste peu de temps pour s’exprimer, s’organiser, convaincre. En mai 68, les partisans de de Gaulle, opposés aux émeutes étudiantes et aux grèves, ont pris d’assaut Paris. Ce sont des centaines de milliers qui ont marché sur les Champs-Élysées. Elle est pour quand, donc, cette manifestation pour appuyer Couillard et les choix du gouvernement? Même sans un cri, cette majorité se ferait alors entendre. Les syndicalistes, les profs (eux, pas tellement!), les gens à gauche et des régions, les étudiants (surtout eux!), ont décidé de prendre le crachoir, comme on dit, et de s’opposer au gouvernement. Il faudrait leur en vouloir, parce qu’une majorité, elle, ne dit rien, appuie? Abdique?

C’est la contestation, finalement, qui est de moins en moins acceptée. Et la tolérance, aussi, qui disparaît. En janvier, nous étions tous Charlie. Mais quand on passe des dessins au monde réel, plusieurs rient plus jaune. Il faut donc mater les étudiants, les déloger de leur campement avec un John Deere. Il faut congédier les profs qui ont grevé et qui lavent les cerveaux des jeunes dans les cégeps, il faut couper les subventions à ces gauchistes, ces BS, qui ne se lèvent pas le matin. C’est ce que voudrait, supposément, la majorité silencieuse : des manifs en pleine nuit dans une réserve faunique, pour ne déranger personne, une société qui se contente de voter aux quatre ans.

Une société de « gens ordinaires »… \


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.