Depuis la route 117 (route du Mont-Chaudron), à quelques pas de la frontière ontarienne, Manon, férue de plein air, et moi empruntons à gauche sur 10 km en mode 4×4 le chemin gravelé pour atteindre la mise à l’eau du lac Buies. À l’itinéraire, deux jours et 18 km à pagayer sur les lacs Buies et Drapeau dans la profondeur de la nature rouynorandienne. 

Le parcours démarre avant un pont désaffecté au-dessus d’un ruisseau reliant les lacs Buies et Raven. Le lac Buies s’étire en longueur et nous offre un parcours de détente bucolique à souhait où plates-formes rocheuses, idéales pour le camping sauvage, et forêts matures se partagent le décor. La deuxième moitié du lac n’est pas accessible aux bateaux à moteur, laissant aux pagayeurs le calme recherché.

Quelques centaines de coups de pagaie sont nécessaires pour atteindre un bras du plan d’eau s’étirant en un étroit canyon. Tout au creux, on y aperçoit un « œuf de dinosaure » et quelques écritures gravées sur bois de grève nous indiquant la présence d’un sentier de randonnée pédestre. Avides de découvertes, nous y voilà à marcher en file indienne. En s’enfonçant dans ces terres, on y déniche de splendides marmites de géant, dépressions cylindriques dans le lit d’un ancien cours d’eau, une beauté de la nature. Le sentier nous amène également à découvrir un immense bloc de roc à la forme naturelle d’une figure de Tortue Ninja, un impressionnant champ saupoudré d’une dizaine de blocs erratiques et quelques magnifiques points de vue en plongée sur le lac. Le sentier qui longe le plan d’eau est linéaire et nous ramène à notre voiture où l’on rebrousse chemin pour regagner nos kayaks après 4,6 kilomètres de randonnée.

Le coin est intimement lié à l’histoire puisque ces deux lacs constituaient une route d’eau amérindienne d’importance. Des peintures rupestres sur parois rocheuses en témoignent. Cette voie aurait d’ailleurs été empruntée en 1686 par le Chevalier de Troyes, envoyé pour chasser les Anglais de la baie James.

Au bout du lac Buies, un portage de 187 mètres soigneusement défriché nous permet d’atteindre le lac Drapeau. Ce dernier plan d’eau abrite seulement trois camps de chasse et est uniquement accessible en quatre roues. Regagner l’eau dans cette contrée isolée me procure un doux sentiment de liberté. Le lac se traverse comme un charme.

Au moment d’atteindre notre campement, un calme fabuleux fige le décor. Seuls nos derniers coups de pagaie viennent brouiller cette nappe d’eau miroir. Un immense rocher plat s’étirant au-dessus de l’eau en presqu’île nous accueille pour la nuit. Nous envahissons rapidement la place en déchargeant nos kayaks. S’ensuit une baignade rafraîchissante dans ce lac perdu. Manon tarde à sortir tellement l’eau est bonne et douce. Je m’active donc seule à concocter mes fameuses pâtes penne au camembert, épinard, olives et tomates séchées. Qui a dit que gastronomie et plein air ne sont pas compatibles?

À l’aube, quelques minutes précédant le lever du soleil, nous regagnons nos kayaks pour nous enfoncer dans une baie qui aboutit à un marais verdoyant. On y demeure figées, fixant la forêt avec l’espoir d’y voir apparaître la bête lumineuse. Une tour de chasse me confirme que l’endroit y est propice. On prend plutôt plaisir à observer une variété d’oiseaux. Les premiers rayons du soleil me caressent la peau sur le chemin du retour à notre presqu’île adorée pour y savourer un déjeuner digne des grandes crêperies.

Après une deuxième saucette, force est d’admettre qu’il est temps de rebrousser chemin et d’admirer en sens inverse ces paysages idylliques.

En voiture, sur le chemin du retour, un arrêt au mont Chaudron vaut son pesant d’or. Cette montagne recèle de quelques points de vue panoramiques incomparables. Culminant à 527 mètres d’altitude, elle est reconnue comme le deuxième plus haut sommet de la région. Sa montée est abrupte et technique, mais une fois en haut, la vue sur la mer de forêts du secteur est imprenable.

Techniquement, le mont Chaudron ou colline Cheminis est une anomalie géologique, un inselberg, une roche résistante à l’érosion contenue à l’intérieur d’une roche plus tendre datant de la dernière période glaciaire. La légende veut que la montagne ait été utilisée comme endroit de sacrifice par les habitants du secteur, les ancêtres des Nishinawbes (Anishinaabes) et des Aski d’aujourd’hui, respectivement les Ojibwés et les Atikamekws. \


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