Non, on ne parlera pas de réfugiés syriens parce que je perdrais probablement ma job de rédacteur en chef. C’est ce que je me suis dit en relisant mes trois derniers brouillons, avant de les détruire.

Bombardier, donc. On est donc fiers de Bombardier. Un fleuron de l’économie québécoise, de la recherche et du développement dans les hautes technologies. Une entreprise enracinée dans le folklore québécois avec son fameux Ski-Doo. Même les publicités à la télé faisaient appel à cette fierté, il y a quelques années : « Regarde, c’est mon avion! » disait un homme à son fils, en pointant vers le ciel.

3,3 milliards de dollars ont été investis dans Bombardier au cours des deux derniers mois, par le gouvernement libéral provincial et par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP), montants qui proviennent essentiellement de nos taxes et impôts.

L’État a certainement un rôle à jouer pour aider les entreprises privées à performer au niveau international, particulièrement dans des secteurs de pointe comme l’aéronautique, prometteurs pour l’avenir. Par contre, lorsque l’État décide d’y investir des sommes massives parce que les investisseurs privés ont peur ou ne sont pas intéressés, on devrait se poser des questions. Il faut s’assurer que les retombées soient bénéfiques pour le plus grand nombre. Qu’en est-il dans le cas de Bombardier?

Bombardier est une championne de la délocalisation, qu’elle fait planer comme une menace chaque fois qu’elle réclame de l’aide gouvernementale. Agaçant, mais il s’agit là d’une stratégie de négociation que toutes les multinationales utilisent pour obtenir les meilleures conditions possibles tout en étant compétitives. Bref, que cela nous plaise ou non, c’est la réalité actuelle et si Bombardier ne le fait pas, ses compétiteurs, eux, le feront quand même.

À partir de quand doit-on tracer une ligne? À quel moment aider une entreprise n’est plus dans l’intérêt général?

Par exemple, lorsqu’on apprend que les dirigeants de l’entreprise ont perçu plus de 22,5 millions de dollars en salaires en 2014, une hausse de 12 % par rapport à 2013, malgré des pertes de 1,25 milliard de dollars et une chute du titre en bourse de 7,5 % durant l’année financière 2014 (La Presse Affaires, 31 mars 2015). Ah, mais il faut payer pour avoir des bons décideurs au privé!

Par exemple, quand on sait que le projet CSeries de Bombardier fournit actuellement du travail à 1700 personnes, et en fournira à possiblement 2500 personnes lorsque la production atteindra son maximum (Radio-Canada, 29 octobre 2015). 3 milliards de dollars pour protéger 2500 emplois.Ça revient à combien par emploi, ça?

Par exemple, lorsque les médias ont révélé l’an dernier que Bombardier a fait transiter des centaines de millions de dollars par le Luxembourg, paradis fiscal bien connu, sommes qui échappent donc à l’impôt provincial et fédéral (Radio-Canada, 9 décembre 2014). Ah, mais c’est pas illégal, et toutes les multinationales le font!

Par exemple, lorsque, quelque temps après les annonces d’aide financière du gouvernement du Québec et de la Caisse de dépôt et placement, Bombardier a annoncé qu’elle allait délocaliser de nouveaux emplois au Mexique, en Inde et au Maroc (La Presse Affaires, 24 novembre 2015). Ça prend ça pour diminuer les coûts de la main-d’œuvre et demeurer compétitif! Il y a trop de syndicats au Québec!

Par exemple, lorsqu’on sait qu’on aurait pu, mettons, prêter des plus petites sommes à une quantité incroyable de PME québécoises, en minimisant les risques, en créant des milliers d’emplois qui stimuleront l’économie, avec des bénéfices risquant beaucoup moins de transiter dans des paradis fiscaux. Ah, mais on a tellement investi dans Bombardier, on ne peut pas se permettre de perdre l’entreprise maintenant!

Ben oui fiston, c’est notre avion! On a payé des taxes et des impôts pour les aider à payer 22 millions en salaires pour les boss afin qu’ils soient assez braves pour couper des jobs ici, déménager ailleurs où y’a de la main-d’œuvre bon marché, et acheter de la publicité pendant la partie de hockey pour nous dire que même si on n’a pas une cenne en retour parce que les profits sont dans des paradis fiscaux, au moins on a de la fierté!

Par contre, quand les syndicats de l’enseignement (ou du secteur public, ou des infirmières) réclament des hausses dont la majeure partie sert à couvrir l’inflation, ces députés qui viennent de se voter une hausse de 55 % de salaire, qui ont haussé de 34 % le salaire des médecins, déclarent : « C’est impossible, pour les contribuables, de payer ça. » (Radio-Canada, 30 septembre 2015). Et au moment d’écrire ces lignes, ce gouvernement faisait acte de magnanimité, en offrant un investissement de 80 millions de dollars en éducation, soit l’équivalent des salaires économisés par le mouvement de grève. Wow. Veux-tu une saucisse dans ton Kraft Dinner? C’est plein de protéines.

C’est drôle. J’ai la bizarre impression que nos dirigeants et leurs amis ont intérêt à ce qu’on soit beaucoup plus cons. En ce sens, couper dans l’éducation, c’est un bon investissement pour eux.

Terminons par une question quiz : combien coûte annuellement l’aide sociale au Québec (le BS, comme on dit chez nous), qui permet à près de 500 000 Québécois (incluant 100 000 enfants, 130 000 personnes souffrant d’un handicap ou d’une maladie mentale ou physique les empêchant de travailler, et 90 000 personnes ayant des contraintes temporaires à l’emploi) d’avoir un revenu minimum pour manger et se loger? En 2013, c’était environ 2,8 milliards de dollars (Le Devoir, 8 septembre 2014). Ce sera tout. Joyeuses Fêtes. \


Auteur/trice