Au cours d’une discussion, il arrive assez fréquemment à des amis de parler d’une situation quelconque et de me demander à brûle-pourpoint comment cela se passe « chez moi ». Certes, je ne me fais jamais prier pour leur expliquer dans les moindres détails le fonctionnement de ce pays étonnant aux visages multiples qu’est Haïti, bien que le poisson ne soit pas toujours le mieux placé pour décrire les bienfaits de l’eau. Mais ma promptitude à leur rappeler que « chez moi », c’est dorénavant ici les jette dans une confusion difficile à camoufler quand ils ne s’empêtrent pas dans des excuses inutiles. Paradoxalement, je me surprends parfois à utiliser la même expression « chez moi » en référence à Haïti. Mon inconscient semble ainsi enlever toute crédibilité à ma conviction d’être ici chez moi. Mais la situation est plus complexe qu’elle n’y paraît.

La réalité, c’est que là-bas n’est plus chez moi. C’est un (doux) souvenir qui m’aide à me situer ici et à me forger des repères dans mon processus d’appropriation de ce nouvel espace, ce nouvel imaginaire, ce nouveau monde. Là-bas, c’est un « chez-moi » métaphorique, un « chez-moi » mythique. C’est mon origine. Comme l’Afrique de Marcus Garvey. Quand j’y retourne, on me reçoit avec amabilité et bienveillance. Je suis l’enfant du pays parti voir le monde et qui a réussi. On me demande des nouvelles de « chez moi ». On me demande d’expliquer des bizarreries de « chez moi ». On m’interroge sur les us et coutumes de « chez moi ». En échange, on m’accorde l’hospitalité proverbiale réservée aux étrangers. Je suis un exotique. Considéré comme un étranger là-bas, j’ignore combien de temps il me faudra pour être ici chez moi. En conséquence, j’ai décidé d’habiter le monde en grand nègre (homme riche ou hardi, en créole haïtien). Le jour où cela changera, le monde ne sera plus le même. \


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