L’automne qui s’achève aura été le théâtre de la campagne de dénonciation #MoiAussi qui, tout comme la campagne #AgressionNonDénoncée à l’automne 2014, tentait de remettre à l’avant-plan l’aspect insidieux de ce que plusieurs nomment la culture du viol.

Tout comme c’était le cas en 2014, la campagne de dénonciation de cet automne fait suite aux accusations d’agression sexuelle portées contre le producteur de cinéma Harvey Weinstein (en 2014, c’étaient les accusations du même type visant l’animateur de radio Jian Ghomeshi qui avaient mené vers la campagne de dénonciation). En 2016, une série d’agressions sur le campus de l’Université Laval avait précipité un débat dans les médias traditionnels comme dans les médias socionumériques. Somme toute, depuis quelques années, la question de la culture du viol revient attiser les débats de façon régulière sur la scène québécoise.

Je vois régulièrement autour de moi, et sur mes fils d’information Facebook et Twitter, des réactions incrédules face aux dénonciations. Ces réactions ont comme dénominateur commun un refus systématique de l’existence même de la culture du viol, sous prétexte qu’il est évident que notre culture n’encourage aucunement les crimes de nature sexuelle. Mais il y a dans ce refus une incompréhension déplorable de ce que le terme « culture du viol » désigne et comprend, tout comme il y a une incompréhension du terme « viol » lui-même, qui est un crime motivé par la recherche d’une domination beaucoup plus que par la recherche d’un plaisir sexuel. Dans cette veine, le concept de culture du viol, qui apparaît au sein de la deuxième vague du féminisme durant les années 1970, englobe la normalisation de rapports de pouvoir disproportionnels et non-réciproques entre les genres, ainsi que du sexisme, de la misogynie et de l’objectivation de la féminité au sein des discours sociaux et culturels. Le viol lui-même est une manifestation extrême de ces phénomènes, mais repose néanmoins sur eux.

Mais comment cette culture du viol se manifeste-t-elle dans nos médias? Car si les identités sexuelles et genrées sont des constructions sociales, il va de soi qu’elles sont largement répandues par le biais des discours culturels nous entourant – de la télévision aux réseaux socionumériques, du cinéma aux chroniques journalistiques et aux radios d’opinion. D’ailleurs, nos enfants sont placés dès le plus jeune âge devant des récits mettant de l’avant des inégalités dans la représentation des genres. Le duo québécois Les Brutes avait d’ailleurs réalisé une capsule intéressante à ce sujet, intitulée « Le principe de la schtroumpfette, » et reposant sur des statistiques plutôt parlantes à ce sujet.

Dans les récits filmiques grand public destinés aux adultes, la représentation inégale des genres se trouve couplée d’une puissante objectivation du corps féminin, observé dès les années 1970 par la féministe Laura Mulvey. Parmi les constats de Mulvey, on trouve comme concept central l’idée selon laquelle les productions filmiques sont destinées à un regard masculin. Les personnages féminins sont conséquemment définis en fonction de leur beauté et de leur disponibilité pour le personnage masculin, qui lui est généralement au centre de l’action. Bien que le cinéma ait évolué depuis les années 1970, il y a un consensus général voulant que les idées de Mulvey tiennent encore la route aujourd’hui. Mais au-delà du sexisme présent dans les représentations des sexes et des genres à l’écran, la culture du viol se trouve également et surtout campée dans les rôles narratifs au sein desquels s’inscrivent les idéaux du féminin et du masculin. Même dans le plus typique film à l’eau de rose, une idée générale se perpétue : quand le personnage féminin se montre initialement réfractaire aux avances du personnage masculin, ces réserves tombent généralement à la force d’une persuasion qui relève du harcèlement. Il y a ici l’idée d’une conquête, et on laisse croire que finalement, il suffit d’insister – car après tout, la femme ne sait tout simplement pas ce qu’elle désire. Ce n’est là qu’un exemple de normalisation d’un certain harcèlement dans notre culture visuelle populaire.

Si la campagne #MoiAussi a donné lieu au partage de récits parfois tristes, parfois troublants, et toujours désolants, elle a également réussi à démontrer l’existence même de ce qu’elle tente de dénoncer. En effet, les discours tentant de nier la culture du viol tendent généralement à faire la démonstration de son fonctionnement. Que ce soit un humoriste qui banalise une victime d’agression en discréditant la notion essentielle du consentement, ou que ce soit un animateur de radio qui compare l’agression sexuelle à un vol d’auto, arguant qu’une femme à la tenue aguichante équivaut à une auto laissée déverrouillée, les discours négationnistes font généralement la démonstration de l’existence même de la culture du viol. Il faudrait cesser de nier l’évidence et s’attarder à ce qui peut être fait pour renverser la vapeur. Une meilleure éducation face au pouvoir de l’image est nécessairement de mise!


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