Des gens inquiets se sont rassemblés à la place de la citoyenneté pour défendre, une fois encore, ces fameux caribous de Val-d’Or qui se meurent de bruit. L’ambiance était tout en nuance. Un deuil festif? Quelque chose comme ça, oui. La petite fontaine déversait sur nous une fine bruine fort rafraîchissante. Le temps était mi-chaud mi-froid. Des enfants agitaient inlassablement leurs petits membres pendant que d’autres, moins jeunes, avaient le visage long, sourire en coin, zieutant les autres. L’artiste, cigarette de robot en poche, jouait quelques pièces toutes pleines de nostalgie sur un piano à cœur ouvert. Il est chez lui, mi-Richard, mi-Desjardins; un monument si familier que l’envie nous prend de nous tutoyer tous. 

 

Se dire les choses plus franchement, entre nous, voilà. Il faudrait commencer par-là, par piler sur nos belles politesses. Dans la rue, le ventre d’un pick-up gronde et enterre la musique, le plus beau bruit qui soit. « Il y aura de la nourriture végétarienne, pour les concernés, et puis du steak de caribou forestier pour les autres », dit l’écologiste au micro. Délicieuse ironie, sachant qu’il n’en reste plus qu’une quinzaine. Au fond de la petite fontaine, des caribous sur des trente sous, noyés sous le bruit de l’eau.

 

Il n’est pas le seul à être cynique, dernièrement. On ne va pas commencer à tous les nommer, mais Nicolas Hulot, ex-ministre français de la Transition écologique et solidaire, Patrick Lagacé à La Presse, puis François Delorme dans une lettre ouverte au Devoir (un professeur d’économie de l’environnement, celui-là) sont d’avis qu’il est déjà trop tard pour le climat. Le pouvoir, les médias et la science tout en même temps, ça fait beaucoup de vacarme pour nous aussi. « Éviter la catastrophe environnementale avec le système actuel, je n’y crois plus », disent-ils.

 

Très comiques, ceux-là, les grands optimistes blasés. Fait-on un doctorat quand on n’y croit vraiment pas? Devient-on ministre? Ils parlent franchement, sans doute, mais agissent autrement. Ils crient à la fin du monde pour se secouer les uns les autres, voilà tout. Ce qui est important, avec ces caribous forestiers, c’est aussi d’y croire au moins un peu, même si on sait que leur fin est imminente. Il faut les considérer comme des symboles de résilience, mais encore, comme des compagnons de misère, car sur l’autre face de chaque trente sous, sous l’eau de la petite fontaine, on trouve une femme. Noyée, elle aussi. Évidemment, avec un tel panache, pas de chance.

 

Près de la fontaine, l’ambiance vacillait quelque part entre la joie d’être réunis et la tristesse d’être seuls ensemble. On se tenait les uns sur les autres, dos à dos, cherchant nerveusement un visage connu; c’est toujours comme ça, les mammifères sociaux. Chacun pour soi, mais pas vraiment. On creuse, bûche, fond et scie tout ce qu’on trouve pour l’oublier dans le bruit, la solitude. 

 

Chers amis cervidés, ce n’est pas pour vous faire peur, ce grand tintamarre, promis juré! Ne nous laissez pas seuls dans l’immensité silencieuse du nord. Restez avec nous, tout près, le plus longtemps possible. Nous avons tellement besoin d’y croire.