Mademoiselle,

 

La dernière fois que je vous ai vue, c’était comme d’habitude : j’étais con, bègue et tremblant. La nausée me poussait à déglutir davantage de mots que ma raison ne pouvait en soutenir. De toute évidence, il fallait que je vous déclare ceci :« Puisqu’on se connaît un peu (sujet amené), voudriez-vous peut-être venir boire un verre en ma compagnie (sujet posé)? Au parc par exemple, dans un lieu commun, un verre d’eau s’il le faut, un jour ou l’autre, pas nécessairement demain… mais j’attendrai de vos nouvelles (sujet désespéré). Loin de moi l’idée de vous faire la cour (sujet pathétique) – quoique vous pourriez m’y prendre, sait-on jamais. Haha! Vous dites? Oui, c’est bien cela, une sorte d’invitation, merci, au revoir (fuite du sujet). » 

 

Depuis, quantités de phrases ambiguës à la rallonge vous sont tombées dessus. À chacun sa manière d’aborder la jolie fille qui lui donne des reflux gastriques. Je vous supplie de comprendre que les phéromones que vous émettez engendrent quelques fissures mentales chez moi. J’insiste : ce n’est pas vous, c’est moi. Faute de pouvoir vous parler, je me résous donc à vous écrire par l’entremise de ce journal que vous ne lirez jamais. En matière de mauvaise communication, on ne fait guère mieux. 

 

Advenant une lecture miraculeuse, je ne sais si vous aurez l’audace de me répondre. Dans cette noblesse que je vous souhaite héréditaire pour le bien de l’humanité, le silence semble faire office de religion; jamais vous ne prononcez le moindre mot pour rien. Un exploit admirable qui va à l’encontre de nos coutumes et de mon existence en tant que pie du Bas-Canada. 

 

Si je vous écris dans le but d’entretenir notre amour imaginaire, c’est aussi pour en préserver le savoir-faire. Il fut un temps où des amours impossibles se torturaient à force de correspondance, comme Marie-Victorin et la petite bonne sœur qui se décrivaient de la tête aux pieds, et pas habillés… Pour la science, on s’entend. Une époque fantastique! Certes, il y avait la grippe espagnole, mais au moins on n’attendait pas la Saint-Valentin pour se manifester. Et si ce n’était pas assez romantique, les écrivains se chargeaient d’en rajouter. Saint-Exupéry est allé jusqu’à se faire pilote de l’aéropostale en s’offrant le luxe de s’écraser dans le désert juste pour pouvoir romancer sur les lettres perdues. Un homme admirable. Un visionnaire. Ô combien délicieuse devait être l’attente de la réponse d’un être aimé! Y songez-vous aussi? 

 

La dernière fois que je vous ai vue, vous m’accordiez la permission de vous aimer. J’avais peur de votre bouche, de vos mots, de votre peau. Il fallait que je m’enfuie pour ne pas vous gêner davantage et pour retrouver l’appétit. Vous êtes tellement douce et sublime que ça me faisait mal rien que d’être là, à vos côtés. 

 

Si vous existiez, je vous réinventerais quand même.