J’ai 46 ans. J’ai grandi dans l’essor du féminisme au Québec. Au cours du dernier siècle, les femmes ont mené plusieurs luttes pour soustraire nos corps et nos esprits aux différents dictats religieux, politiques et sociaux. Droit de conserver son nom de fille après le mariage. Droit à la liberté sexuelle. Droit à l’avortement. L’objectif était de donner aux femmes leur statut légal à part entière et le pouvoir sur leur corps. Sans avoir à demander la permission du mari pour exercer sa citoyenneté, faut-il préciser.

Mais si on peut aujourd’hui constater certains progrès ici et là, les luttes des femmes sont chaque jour à poursuivre. Les droits des femmes sont toujours à défendre, à reprendre. Choquant de voir de nombreux hommes politiques au Brésil, aux États-Unis et ailleurs, se comporter comme des criminels envers les femmes et être élus, en toute connaissance de cause, et même nommés dans de hautes instances de justice. Sous ces sombres augures, aucun acquis n’est vraiment acquis. La sécurité des femmes reste précaire… ou illusoire.

Malgré bien des promesses de changement, la Loi sur les Indiens est encore discriminatoire envers les femmes autochtones du Canada, qui ne peuvent transmettre leur statut d’Indien à leurs enfants nés d’un père non autochtone. Pour les hommes, ça ne s’applique pas. Allo, M. Trudeau? On est en 2019.

Est-ce que, dans l’Histoire, des femmes se sont déjà mêlées de circoncision? De vasectomiser sans permission? Je me le demande. Vous savez quoi? En 2018, au Canada, on procédait encore à des stérilisations sur des jeunes femmes autochtones sans leur consentement. De quel droit, s’il vous plaît?

Dans un ordre d’idée moins grave, mais qui mobilise beaucoup d’énergie médiatique, je reviens au cas de Catherine Dorion. Ben oui, encore. Pourquoi traite-t-on « d’enfantillage » le choix de Catherine Dorion de s’habiller à sa façon? D’accord, elle siège à l’Assemblée nationale. Mais elle est une adulte, élue, qui n’a pas fait la promesse de devenir quelqu’un d’autre en entrant au Salon bleu. En passant, le fait de porter tailleur, veston et cravate n’a jamais garanti de rectitude morale ou politique. Alors, pourquoi ce petit défi au décorum pèse-t-il plus lourd dans la balance que le propos de la députée? La vente de blindés canadiens aux pays étrangers, le laxisme entourant les dossiers d’une mine de lithium près de nos sources d’eau, le prix exorbitant de l’immobilier qui précarise les familles à faibles revenus, comment tout ça peut-il faire couler moins d’encre que le t-shirt de Catherine Dorion? Une aberration politique, sociale et surtout, médiatique.

Parlant des médias, avez-vous loupé « l’avant-dernière » ligne éditoriale de VRAK TV? On y proposait des trucs adressés aux jeunes – filles, faut-il le mentionner – pour réussir leurs sexfies. Pour les moins technos, un sexfie est une photo de soi en petite tenue qu’on envoie à son ou sa partenaire (on l’espère) en guise de jeu érotique. C’est quoi l’âge de l’audience moyenne de VRAK? 8 à 18 ans, genre? Il me semble que ça mériterait plus d’indignation que les audaces vestimentaires de certains députés.

Dans les faits, quand une personnalité publique féminine prend la liberté de ne pas se conformer aux codes établis, c’est fascinant à quel point « le public » se permet de la réduire à une vulgaire enveloppe. Son image ne lui appartient plus, et cet endoctrinement commence au plus jeune âge. En Amérique du Nord, si elle ne joue pas le jeu de la séduction, on se permet de l’insulter dans les médias sociaux. Il y a là une charge de violence inouïe. Les femmes peuvent porter un décolleté plongeant mais ne peuvent allaiter en public sans créer de remous. Il doit bien y avoir un équilibre entre le désir de couvrir les femmes des pieds à la tête et de légiférer sur leur habillement et l’hyper sexualisation des jeunes filles, non?

Je suis maman de deux garçons, qui seront ados dans le temps de le dire. Je n’envie pas mes ami(e)s qui ont des filles. Nos enfants grandissent dans une autre époque que celle de mon enfance, et sont inondés de médias sociaux et d’écrans. Soumis à d’autres influences tout aussi discutables que celles du clergé dans les années 1940 : hyper sexualisation, pornographie, standardisation du corps, mannequins d’à peine 15 ans et qui vendent des maillots pour femme. Autant pour mes garçons qui auront du corps de la femme une idée complètement tordue que pour celles qui se soumettent à ce jeu sans en comprendre toute la violence, je cherche des options plus inspirantes.

Le problème du contrôle du corps et de l’image du corps de la femme est complexe. Les pièges idéologiques sont nombreux. Je félicite et remercie toutes ces femmes qui ont le courage de se soustraire aux dogmes qu’on leur impose et qui osent nourrir l’espace public d’une image différente de leur personne, de leur corps, mais surtout, de ce qu’elles ont dans la tête. Je les aime, moi, les Safia, Catherine et Rahaf. Tess Holliday, une mannequin taille forte répondait dernièrement à un commentaire désobligeant sur ses rondeurs, alors qu’elle allaitait en public : « Keep your uneducated opinions off my body », ce qui se traduirait joliment par « Gardez vos opinions ignorantes loin de mon corps ».


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