Si on était en 642, à Alexandrie, en Égypte, on aurait vu Omar ibn al-Khattâb brûler les livres de la bibliothèque. L’humanité perdait probablement l’Hortentius de Cicéron et des textes d’Aristote, entre autres. Des écrits qu’on jugeait impurs, contraires au Coran.

Si on avait vécu à Florence le 7 février 1497, on aurait pu assister au Bûcher des vanités. Ce jour-là, les disciples du moine Savonarole rassemblent pour les brûler des milliers d’objets, des objets qui poussent au péché de vanité, comme les miroirs, les robes, les bijoux. Des livres aussi aboutissent sur le bûcher : des textes immoraux et des chansons non religieuses. Des tableaux de Botticelli et d’autres chefs-d’œuvre florentins sont portés au feu. On pourrait penser que c’est d’un autre temps. Mais avons-nous besoin de retourner si loin?

En 1933, Hitler fait brûler des livres écrits par des auteurs juifs, pacifistes ou marxistes, ces ennemis de la pureté allemande. Entre 1966 et 1968, les Gardes rouges de Mao brûlent les livres anciens et étrangers écrits par des auteurs qui ne faisaient pas partie des classes révolutionnaires. En 2015, les combattants de l’État islamique, à Mossoul, détruisent des milliers de livres des bibliothèques publiques, ouvrages contraires à la doctrine. On pourrait dire que ça se passe ailleurs dans le monde. 

Non. Ni d’avant, ni d’ailleurs… On apprenait au mois d’août qu’en 2019 (hier!), en Ontario, 5000 livres des bibliothèques pour enfants du Conseil scolaire catholique Providence ont été brûlés ou enterrés par les Gardiens du savoir autochtone dans le cadre d’une cérémonie : des albums de Tintin, des Astérix, des Lucky Luke, des encyclopédies, et même des romans pro-autochtones.

C’est le retour de l’Index! Une idéologie devenue religieuse : elle définit le bien et le mal, la morale. Elle décide si on est fréquentable, si le livre peut être lu. Ce sont des réflexes autoritaires, totalitaires. On est dans cette logique. En contrôlant ce qui peut être vu, lu, entendu et dit, on organise malicieusement un pouvoir de contrôle qui dictera et imposera des valeurs en restreignant le pouvoir de la pensée. C’est un point de départ. L’histoire montre qu’à la suite des bûchers, des autodafés, les pires dérives peuvent commencer. « Là où l’on brûle les livres, on finit aussi par brûler des hommes », nous avertit Heinrich Heine, poète allemand du dix-neuvième siècle. En France, des librairies aux choix littéraires plus conservateurs sont attaquées par les fameux antifas aux réflexes pourtant fascisants. On brûle les livres, mais ensuite on brise, on attaque, on intimide. Ces gens, pas toujours nombreux, mais trop influents, cherchent à faire disparaître tout ce qui diffère, qui s’éloigne le moindrement de leur vision bornée des choses et du monde.

Mieux vaut une société qui assume son passé, qui l’observe et se le rappelle, qui assume ses erreurs et ses vérités. Je ne connais pas d’autre façon d’avancer. Sinon, c’est le recul et la régression. La soumission aussi.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.